رسالة النقد الاجتماعي تحليلات ودراسات في المجتمع والسياسة في العالم العربي والشرق الأوسط Burhan Ghalioun is presently a Professor of Political Sociology at the Universite La Sorbonne Nouvelle. He is the author of several authoritative books as well as over a hundred academic articles in various journals on political Islam, Arab political culture and state and society relations in the Arab World. https://www.facebook.com/BurhanGhalion
lundi, décembre 07, 2015
عالم الإسلام أمام مخاطر سياسات العزل والمراقبة والحصار
السياسة من موقع المفكر الحر
بالتئآم اطراف المعارضة غدا في الرياض، اشعر بأنه صار بإمكاني ان أتحرر من التزاماتي في السياسة اليومية، لأعود الى موقعي الطبيعي كمثقف ومفكر حر ومستقل، ليس له التزام سياسي وأخلاقي الا تجاه شعب سورية العظيم وقضيته الكبرى قضية الحرية والكرامة والعدالة.
التزامي الوحيد منذ الان هو تجاه هذا الشعب وحده، الذي كرست من اجل حريته وكرامته وحقه في المشاركة والاعتراف والاحترام ،كل عمري وجهدي العلمي والأكاديمي, والذي شرفني بتأييده اختياري اول رئيس للمجلس الوطني، متوجا بذلك عقودا طويلة من العمل من أجل نصرة الشعوب المضطهدة ورفع الظلم عنها. ولن يشغلني شيء عن قضية تحرر هذا الشعب، الذي فاقت تضحياته من أجل كرامته وحريته أي خيال، حتى يحقق أهدافه وينتزع حقوقه كاملة في مواجهة ما يتعرض له من التمييز والعنصرية والاستبداد والوصاية والاحتلال.
وانا على ثقة من ان المعارضة السورية التي تجتمع في الرياض غدا، على مختلف تياراتها، سوف تظهر انها اصبحت على مستوى المسؤولية وقادرة على الوفاء بالتزاماتها تجاه الشعب الذي محضها ثقته وراهن عليها كي تمثله في المحافل الدولية. وعليها وحدها يقع واجب ان تظهر انها قادرة على رد التحدي واستثمار الفرصة الاستثنائية التي يقدمها لها مؤتمر الرياض لاستعادة وحدتها وتجاوز تناقضاتها والارتقاء الى مستوى تضحيات شعبها ومعاناته وتوقعاته ايضا.
samedi, décembre 05, 2015
ندوة حوارية مع الدكتور برهان غليون عن العلمانية في الوطن العربي 2010
jeudi, novembre 26, 2015
الدكتور برهان غليون يقبل الارض بعد وصولة سوريا ج1
الحدث الدكتور برهان غليون الحكومة الروسية تلعب لعبة مزدوجة مع الأم...
برهان غليون يصل الى الاراضي السورية ويجتمع بالاهالي ج2
الواقع العربي- غليون: العالم يستحق أن يبصق عليه السوريون
ندوة "آفاق الحل السياسي في سوريا"
dimanche, novembre 01, 2015
ٍSur la guerre que la Russie mène en Syrie
« Dans la guerre que la Russie mène en Syrie, c’est l’Occident qui est visé, et non les Syriens » Propos recueillis par Rashid Aïssa
30 octobre 2015
By admin
Burhan Ghalioun (universitaire et opposant syrien) : « Dans la guerre que la Russie mène en Syrie, c’est l’Occident qui est visé, et non les Syriens »
Propos recueillis par Rashid Aïssa
in Al-Quds al-Arabi, 24 octobre 2015
traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier
Paris, Al-Quds al-Arabi
L’idée la plus importante que l’on peut retirer d’une lecture entre les lignes des écrits de Burhan Ghalioun, c’est que les Syriens en ont certes fini avec le syndrome du « pour toujours » [cet « ’ilâ-l-’abad », « pour toujours » – du slogan ’Al-’Asad ’ilâ-l-’abad ! « (Avec) Assad, éternellement ! »], c’est-à-dire avec le cauchemar de la perpétuation à jamais d’Assad et des siens au pouvoir en Syrie – mais pour retomber dans un autre syndrome, celui de la désignation d’un nouveau président tous les trois mois. M. Ghalioun, qui fut le premier président du Conseil National Syrien, considère qu’il faut convoquer devant les tribunaux ceux qui ont imposé cette calamiteuse périodicité trimestrielle calamiteuse de la dévolution des mandats à ce poste, qui s’est avérée être une mine qui n’a cessé d’exploser périodiquement à la figure de l’opposition syrienne tout au long des quatre années passées.
Mais il ne semble pas pour autant que M. Ghalioun, qui est un fringant septuagénaire, soit en proie au découragement. Au contraire, il est plus déterminé que jamais : l’objectif qui le mobilise entièrement est le rassemblement des Syriens opposés au régime [dictatorial] dans leur pays sous une direction unifiée. Il considère qu’il s’agit là d’une tâche fondamentale pour tous – pour ainsi dire, d’une planche de salut.
Après quatre années de révolution, cet universitaire syrien que la Révolution syrienne a placé au cœur de l’action politique nous parle aujourd’hui d’un renversement majeur intervenu dans la situation en Syrie du fait de l’intervention militaire russe. Il parle de mois qu’il considère décisifs pour l’avenir de son pays.
Rashid Aïssa [RA] : Vous qualifiez ce qui est en train de se passer en Syrie à la suite de l’intervention militaire russe de « renversement de la situation ». Qu’est-ce qui a rendu possible un tel renversement ?
Burhan Ghalioun [BG] : Les Russes ont décidé d’intervenir pour renverser la table contre tous les protagonistes : contre l’opposition syrienne qui était en train de progresser sur le terrain et contre l’alliance internationale qui avait été constituée afin de soutenir l’opposition et de combattre l’Etat islamique (Dâesh) – mais aussi contre Téhéran, dans une certaine mesure, qui rêvait de faire de la Syrie son arrière-cour. Le but de cette intervention est de sauver le régime de Bachar al-Assad afin d’en prendre un contrôle complet, de s’en rendre maître et de le vendre à l’encan, en commençant par Assad en personne. Mais cela n’explique pas tout. Pour comprendre les buts à plus long terme visés par l’intervention russe, il faut replacer celle-ci dans un cadre plus large que celui de la seule crise syrienne, c’est-à-dire dans le cadre du conflit larvé entre la Russie et l’Occident et du combat personnel du président Poutine pour s’imposer à l’Occident, mettre un terme à son propre isolement et à sa marginalisation, qui perdurent depuis des années – l’isolement de la Russie remonte à la chute de l’Union soviétique. Poutine entend dire haut et fort que la Russie, elle aussi, est une grande puissance et que l’on ne saurait imposer de sanctions à une grande puissance : on ne traite pas une grande puissance telle que la Russie comme si celle-ci était mineure. L’imposition de sanctions à la Russie à la suite de la question ukrainienne a réveillé chez Poutine et au sein de l’élite au pouvoir une paranoïa latente. L’interminable crise syrienne a été pour Poutine une occasion en or de prendre sa revanche en démontrant sa capacité d’initiative d’action tout en défiant l’Occident.
Si le bloc occidental n’a pas été capable de trouver de solution, tant politique que militaire, à la crise syrienne, c’est parce qu’il a refusé d’apporter une aide pourtant indispensable à l’opposition syrienne, pensant qu’ils pourraient parvenir à une solution en s’entendant avec l’Iran, avec Assad et avec la Russie et en apportant le moins d’aide que possible à l’opposition. Avec l’expansion de Dâesh, l’aggravation de la crise et l’exposition de l’Occident à de premiers contrecoups de celle-ci, les Russes ont senti que leur heure était venue pour s’emparer de l’initiative internationale diplomatique, politique et militaire en Syrie et pour imposer la solution de leur choix, dont la vision leur assure au premier chef leurs propres intérêts à court et à long terme. Les Russes ont compris que l’Occident n’avait plus beaucoup de choix dès lors qu’il avait conditionné sa liberté de décision aux décisions de Téhéran et de Bachar al-Assad et qu’il se trouvait par conséquent dans une réelle impasse en Syrie : en effet, l’Occident ne veut pas s’engager dans une confrontation, fusse contre Assad et Téhéran, et en même temps il ne sait pas comment se désengager. Voici ce que dit la Russie : « Puisque vous êtes dans l’impasse et que vous êtes incapables de trouver une solution, laissez-nous faire : nous, nous n’avons pas peur de nous engager (militairement) et nous n’hésiterons pas à recourir aux armes les plus destructrices. De plus, nous sommes couverts juridiquement par l’invitation officielle de Damas. Le prix que nous exigeons de vous, c’est votre accord pour la solution telle que nous nous la représentons : 1) Assad et son régime restent au pouvoir et 2) un gouvernement d’union nationale intégrant les composantes ‘acceptables’ de l’opposition est constitué. »
Avec cette initiative militaire grâce à laquelle la Russie s’est emparée (c’est tout du moins ce qu’elle croit) des clés de la solution (au conflit en Syrie), Moscou s’est imposée en tant que puissance mandataire en Syrie, et justifié l’extension de sa base militaire de Lattaquié et son entrée fracassante en tant que grande puissance dans les équilibres moyen-orientaux, tout en affirmant son existence en tant que pôle (ou que pseudo-pôle) international sans la participation duquel aucun agenda politique international ne serait envisageable. Ce sont là plusieurs paris extrêmement risqués que Poutine a pris, après cinq années durant lesquelles il s’était contenté d’observer les hésitations de l’Occident, sa couardise et sa hantise de toute implication ou de tout aventurisme en Syrie. L’analyse des Russes n’est pas fausse. En effet, l’Occident pourrait difficilement être dans une position plus faible que celle qui est aujourd’hui la sienne en Syrie – tant militairement que politiquement et éthiquement. Il s’agissait donc pour Poutine de la conjoncture la plus favorable pour se venger de la mise en quarantaine de la Russie et de sa marginalisation personnelle et pour se relancer à la poursuite de ses va-tout internationaux, confiant que celle-ci ne susciterait sans doute pas de réaction agressive de la part de l’Occident.
En réalité, la guerre que la Russie mène aujourd’hui en Syrie vise fondamentalement l’Occident : elle n’a rien à voir, ni de près ni de loin, avec les Syriens, que ceux-ci soient pro-Assad ou opposants au régime. Aux yeux des Russes, les Syriens, quels qu’ils soient, ne sont que des pions sur un échiquier, ce sont des instruments. Et Assad lui-même n’est pour eux qu’un atout, à utiliser avant de s’en débarrasser. Lors de ma première rencontre avec Lavrov (le ministre russe des Affaires étrangères, ndt), à Moscou deux mois après la constitution du Conseil National Syrien, celui-ci n’avait cessé de critiquer l’Occident, l’accusant de tous les maux. A chaque fois que je tentais de ramener la conversation sur la question syrienne, il continuait ses imprécations contre l’Occident, si bien que j’ai été amené à lui dire, à bout de patience : « Excellence, permettez-moi de vous rappeler que vous n’avez pas devant vous l’ambassadeur de l’Occident, que je viens de Syrie et que, tout comme vous, j’ai passé ma vie à faire la critique des politiques colonialistes et hégémoniques de l’Occident. Mais si je suis ici, c’est pour parler de la Syrie et des massacres qui y sont perpétrés contre un peuple qui n’a jamais été adepte de l’Occident et qui n’en a jamais accepté la domination, qui en a combattu l’influence et qui attendait de votre part une position sur les violations de ses droits fondamentaux et sur les massacres perpétrés contre eux ». Depuis lors, la réponse des Russes a toujours consisté à dire qu’ils n’étaient pas mariés avec Assad, mais qu’ils défendraient le peuple syrien contre toute intervention étrangère telle que celles qui ont eu lieu contre l’Irak et contre la Libye. Or, aujourd’hui, comme vous le voyez, ce sont eux qui interviennent militairement.
J’en déduis que les Russes sont aveugles : ils ne voient ni le peuple syrien, ni la question démocratique en Syrie, ni la dictature des Assad, ni les minorités, ni la majorité, ni Daesh ni le front Al-Nuçra. Pour eux, tout ça, ce ne sont que des mots, des mots qui n’ont pour eux aucun sens, des mots qu’ils n’emploient qu’à la seule fin de justifier leur décision de se servir de la crise syrienne pour en faire un moyen leur permettant de renverser la table sur l’Occident, pour le contrer, lui administrer une leçon et revenir se repositionner au Moyen-Orient et dans le monde et pour montrer au monde entier que l’Occident est incapable de faire quoi que ce soit et qu’au contraire, ce sont eux, les Russes, qui sont à même d’agir. Leur comportement serait incompréhensible si l’on faisait abstraction de ce cadre général dans lequel se déroule le conflit et de leur alliance avec l’Iran et avec la Chine visant à constituer un axe en vue d’équilibrer l’axe occidental, et éventuellement de l’affronter ouvertement dans le futur. Leur intervention en Syrie visant à renforcer Bachar al-Assad a pour but de faire de celui-ci un pion important et l’un de leurs instruments stratégiques. Si Assad devait tomber demain, les Russes auraient perdu leur pari et ils se verraient contraints à accepter un règlement du conflit qui ne les satisferait pas et qui ne satisferait pas non plus leurs alliés iraniens. Le résultat, c’est le fait que les Syriens, en plus de leur tragédie, seuls face au régime d’Assad, sont les victimes d’une lutte pour l’hégémonie mondiale avec laquelle ils n’ont strictement rien à voir.
[RA] : De quels atouts les Syriens disposent-ils face à ce renversement de situation, le combat semblant au final surpasser non seulement leurs forces, mais même celles de l’ensemble des Arabes ?
[BG] : Malheureusement, les Arabes se comportent comme s’ils n’étaient que de simples supporters du combat des Syriens, alors qu’ils sont l’objectif principal de cette guerre. Le conflit autour de la Syrie n’est qu’une entrée en matière, une mise en bouche d’une guerre visant la conquête des pays du Golfe. La Syrie est simplement un champ de bataille. Celui qui l’emportera sur ce champ de bataille dominera bien au-delà de celui-ci. La question est de savoir qui imposera sa domination et sa loi sur l’Orient arabe, demain : l’alliance russo-iranienne, ou bien l’alliance occidentalo-émiratie ? Ou bien l’espoir est-il permis que les Arabes retrouvent leurs esprits et décident d’être leurs propres maîtres et de mener le combat de leur destin avec toutes leurs capacités, cette hypothèse étant devenue malheureusement la moins probable. La poursuite de la domination occidentale est devenue elle aussi peu probable : pour que l’Occident puisse contrôler le Mashreq, il faudrait qu’il y réalise les investissements nécessaires pour ce faire, il faudrait qu’il y consacre des efforts. Or, il est clair que durant les cinq années passées, l’Occident n’a pas consenti les efforts nécessaires. Et lorsqu’il en a fait, que ce soit en Libye ou au Yémen, il l’a fait d’une manière erronée. De cela aussi, Poutine profite. Aujourd’hui, les Occidentaux se sont pratiquement retirés de la bataille, ils considèrent qu’ils ne parviendront jamais à faire quoi que ce soit au Moyen-Orient. Mais ils dissimulent cette réalité sous leur discours politique et leur soutien (à la Résistance syrienne) en pures paroles verbales.
En ce qui concerne les Syriens, ils n’ont d’autre choix que de continuer à résister en comptant sur l’héroïsme de leur jeunesse et sur ses énormes sacrifices. Cette Résistance a jusqu’ici fait la démonstration de sa solidité en infligeant défaite sur défaite à l’armée du régime puis, successivement et cumulativement, au Hezbollah et aux milices (chiites) irakiennes et iraniennes, ce qui a contraint la Russie à intervenir militairement de manière directe. Elle aurait pu vaincre très rapidement [le régime Assad] si elle avait fait preuve de cette même cohésion, de cette même solidité et de cette même détermination sur le plan politique. Mais l’expérience du passé a montré qu’autant nous pouvons être des héros légendaires sur les champs de bataille, autant nous sommes peu doués pour la politique, et autant nous sommes faibles tout aussi bien en organisation, en utilisation des médias et dans tout ce qui se rapporte à la rentabilisation de nos sacrifices. Nous sommes un peuple qui a consenti des sacrifices sans précédent dans l’histoire des luttes populaires, mais nous avons été le plus faible des peuples et des mouvements dans le domaine de la transformation de ces sacrifices en acquis politiques. La raison en est que notre opposition, depuis le début, a tenu à être divisée, désarmée et désorganisée, elle s’est acharnée à être animée par des conflits d’ordre personnel et par une concurrence autour de postes imaginaires. À ce sujet, je pense que l’Histoire jugera sévèrement ceux qui ont imposé la règle de la dévolution de la présidence de ce conseil tous les trois mois. Ce faisant, ils ont tué dans l’œuf toute possibilité qu’émergent des dirigeants politiques qui soient capables de gagner la confiance des Syriens et leur soutien, de gagner une crédibilité indispensable aux yeux de l’opinion publique mondiale tant populaire qu’officielle, et de se consacrer entièrement à la définition d’un projet stratégique et d’un programme de travail à long terme et d’en suivre la mise en application, c’est-à-dire de devenir une direction politique effectivement représentative de la Révolution qui soit un centre de direction, d’initiative et d’engrangement des gains politiques et de l’expérience acquise. En lieu et place, nous avons allumé des guerres continuelles autour de postes de responsabilité illusoires qui ont empêché l’opposition syrienne de se consacrer à une quelconque avancée et nous avons causé la perte de notre propre crédibilité aux yeux tant des Syriens que du reste du monde. Nous avons encouragé les gens à se battre pour des sièges vacants et nous avons sapé la possibilité qu’apparaissent une opposition organisée et une direction politique pour le peuple syrien. C’est là la plus grave machine infernale à avoir été dissimulée au cœur de l’opposition syrienne afin de la vider de son contenu – avant de la faire exploser.
Et tandis qu’aujourd’hui j’examine les revirements de la situation politique syrienne et les dangers de la campagne militaire russe, j’ai le sentiment que notre premier devoir, pour faire face aux défis actuels et à ceux de demain, c’est de régler le problème de la direction politique de l’opposition syrienne – tant armée que politique. À mon avis, il n’y a pas d’autre solution que celle consistant à inciter les véritables commandants et dirigeants, sur le terrain, ceux des formations armées et ceux de la société civile, à faire preuve de davantage d’efficacité et de capacité et à former un comité directeur, à nommer leur porte-parole officiel et à s’emparer de leurs responsabilités de dirigeants au niveau national, après l’avoir fait aux niveaux organisationnel et local. Ils pourront demander l’aide de ceux qui voudront bien les seconder parmi les personnes expérimentées et qualifiées, ainsi que parmi les personnalités politiques et nationales afin de mettre en forme leur programme de travail et l’agenda national syrien dont nous avons toujours manqué jusqu’à ce jour. Ils peuvent y œuvrer à partir de leur appartenance à la Coalition qui constituera pour eu un cadre internationalement reconnu, une fois qu’ils en auront repris le contrôle, comme l’a fait l’organisation palestinienne Fath après avoir repris le contrôle de l’Organisation de Libération de la Palestine (qu’avaient créée les pays arabes, exactement selon le même processus qu’en ce qui concerne la Coalition nationale syrienne). S’ils le font, il sera facile de rédiger un plan d’action et de répartir les missions entre divers responsables permanents spécialisés dans la politique extérieure, l’armement, l’administration locale, les secours et les réfugiés et ce, sous supervision collective, avec un suivi au quotidien et des responsabilités bien délimitées et une reddition des comptes largement publicisée.
L’esprit de sacrifice, de combattivité et même de sacrifice suprême est toujours très élevé chez les Syriens, et ils sont capables de poursuivre le combat durant des années. Mais nous n’avons plus beaucoup de temps : nous vivons actuellement la dernière étape, l’étape décisive. Il nous faut absolument disposer d’une direction unifiée parlant au nom des Révolutionnaires et au nom du peuple syrien. Les principales formations (armées) sont aujourd’hui l’essence de l’opposition syrienne et leurs chefs doivent être placés devant leurs responsabilités nationales, ils doivent se comporter en dirigeants d’un peuple et en constructeurs d’un État, et non en seigneurs de la guerre, ni en chefs de fiefs, de factions, de bandes ou de tendances, quelle qu’en soit la couleur. Si nous n’y parvenons pas, je pense que ce qui se produira, c’est que les Russes confirmeront la supposition du régime, qu’ils auront fait leur, à savoir qu’il n’y aura qu’un choix entre deux alternatives : entre le régime criminel de Damas, d’un côté, et Daesh, le front Al-Nuçra et les autres organisations extrémistes, de l’autre. Tel est aujourd’hui l’essence du conflit : y aura-t-il encore, dans quelques mois, ce troisième courant qui représente une opposition nationale rassembleuse et capable de reconstruire l’État syrien pour tous les Syriens et de se comporter envers ceux-ci en tant que constituant un seul et même peuple, ou non ? La tâche primordiale qui nous incombe aujourd’hui est celle de conforter ce courant, de le mettre en avant, d’en développer les piliers afin que l’opposition syrienne apparaisse aux yeux de tous comme un bloc constitué de choix, d’objectifs et de programmes cohérents et d’un organe d’expression et d’information unique. Il était évident que l’expression faussement dubitative de Lavrov entendant nier l’existence de l’Armée Libre Syrienne n’était qu’une entrée en matière pour l’intervention militaire russe, celle-ci étant fondée sur la suppression de la troisième voie afin de placer les Syriens et le monde entier devant un choix impossible entre la terreur de l’État syrien incarnée par Al-Assad et son régime et la terreur de Dâesh et de ses acolytes.
C’est pourquoi le défi auquel nous sommes confrontés est celui de la construction de cette opposition, dont on attend non seulement qu’elle dirige les opposants syriens qui se battent aujourd’hui les armes à la main sur le terrain ou qui agissent dans le domaine des relations internationales, mais aussi, bien davantage encore, qu’elle s’attaque à la tâche ardue de la transition politique. Pour une transition politique réussie, l’on pariera non pas sur les rescapés du régime, que l’on associerait à une instance de transition alors qu’il s’agit de piliers de la tyrannie, mais bien sur l’Armée Libre et sur l’opposition démocrate, ainsi que sur les courants islamistes modérés et démocratiques, c’est-à-dire sur ce noyau national à la constitution duquel nous devons œuvrer et pour la constitution duquel tous les courants et toutes les factions devront faire des concessions idéologiques et intellectuelles mutuelles, si nous voulons réussir à réunir autour de lui la majorité des Syriens appartenant à toutes les confessions religieuses et originaires de toutes les catégories sociales.
[RA] : La Révolution et l’opposition syriennes ont-elles réussi à sécréter des personnalités et des figures qui soient capables de prendre la direction de la période qui s’ouvre, ou bien, au contraire, se sont-elles contentée de dénoncer des dirigeants et des leaders [incompétents] ?
[BG] : Vous venez de mettre le doigt sur ce qui est sans doute l’un des principaux problèmes qui a porté atteinte à la Révolution syrienne et qui l’a entravée, à savoir la question de sa direction. En vérité, lorsqu’on a poussé l’opposition syrienne à entrer dans une sorte d’arène du combat de coqs, et que chacun a aspiré à se retrouver au premier rang, tout un chacun a eu pour projet de se retrouver au premier rang, le projet de tout un chacun est devenu d’être le premier et d’écraser le second, qu’il ne considérait non plus comme son camarade de combat, mais bien comme un adversaire, voire comme un ennemi. Ainsi, au lieu de conforter l’image et le leadership de personnalités qui avaient des possibilité et des talents dans tel ou tel domaine en les soutenant, en les aidant financièrement et en mettant en valeur leurs succès afin d’en augmenter le poids et l’influence tant à l’intérieur de la Syrie qu’à l’extérieur afin que leur parole acquière force et crédibilité dans les cénacles internationaux et qu’elles soient reconnues par tous, nous avons développé un art, ancien chez nous, consistant à défigurer l’image des personnalités volontaires pour endosser leurs responsabilités, à leur nuire et à les paralyser au moyen d’accusations totalement infondées et en diffusant des documents de propagande du régime les compromettant jusqu’à ce qu’ils soient évincés et jusqu’à ce que l’opposition tourne en rond dans un cercle vicieux fait de luttes pour le pouvoir, pour la direction du mouvement et pour les postes à responsabilité. Je souffre, lorsque j’entends des opposants se plaindre de l’inexistence, dans la Résistance syrienne, de personnalités jouissant d’un charisme exceptionnel. La solution, ici, est peut-être de disposer d’hommes d’exception dans le domaine politique, comme c’est déjà le cas dans tous les autres domaines, mais tous ceux que nous connaissons, parmi les dirigeants et les chefs d’États, parmi les dirigeants de formations armées et de partis politiques, ne sont pas dotés de charisme, de noblesse et d’exemplarité. Ce sont des gens ordinaires ou moyens, mais dont leurs peuples ont fait d’eux des dirigeants en raison de la sincérité, du courage, de l’intelligence, de la patience ou de l’expérience par lesquelles ils se distinguaient, tous, ou pour une partie d’entre eux, misant sur eux, les soutenant et manifestant pour eux dans les rues, les déléguant auprès des nations et les encourageant par leur comportement positif à aller jusqu’au bout de leurs capacités et de leurs potentialités grâce à l’enthousiasme que génèrent les contacts et les interactions positives avec eux. Le fait de diriger n’est pas nécessairement lié à un quelconque talent à diriger ni à des capacités exceptionnelles, ce n’est pas une question personnelle dont pourrait décider un individu, car aucun individu, aussi grands qu’en soient les talents, n’accèdera à un poste de direction dès lors que les autres ne l’y auraient pas admis. Il ne s’agit pas de talents individuels exceptionnels, ceux qui en détiennent ne représentent d’ailleurs qu’une petite proportion des dirigeants. Diriger, c’est une fonction dont les gens investissent des personnes sur lesquelles ils misent, qu’ils estiment et qui ne se maintiennent dans leur fonctions qu’aussi longtemps que les gens acceptent la personne qui en est investie. En résumé, ce qui fait qu’un chef en est un, c’est le soutien que lui accorde le public, et en particulier les élites tant politiques que sociales.
Or, ce qu’il s’est produit en Syrie, c’est que personne ne veut confier cette mission (de direction) à qui que ce soit. Tous se battent pour se l’arroger, et c’est ainsi que cette fonction est restée vacante et qu’en compensation, nous avons accepté des gens que nous n’avons amenés là qu’à la seule fin de combler ce vide, sans leur vouer le moindre des respects ni la moindre des confiances, et sans susciter chez eux le moindre sentiment de leur responsabilité ni l’engagement ou l’enthousiasme à prodiguer des efforts et à endosser les difficiles responsabilités d’une direction. Nous avons eu plusieurs dizaines de candidats égarés, de responsables calamiteux, de chargés de direction HS et de leaders perdus dans les nuages qui attendaient leur heure de gloire lors de chaque séance et lors du moindre revirement. Pour qu’un dirigeant bénéficie de la confiance des pays étrangers et de l’opinion publique, il faut qu’il jouisse, avant cela, de la confiance de ses électeurs et de ses sympathisants, c’est-à-dire de ceux qui lui ont fait et lui font confiance. Si celle-ci lui fait défaut à l’intérieur, il n’en jouira pas à l’étranger : c’est ce qui est arrivé aux dirigeants de nos instances tant politiques que militaires. Était-il logique que les Syriens n’aient pas eu de personnalités disposant de l’expérience, de la justesse de jugement et de connaissances suffisantes en matière de politique et de relations internationales ? Mais si l’opposition rejette elle-même toute personnalité qu’elle a elle-même choisie pour être son leader, un choix qu’elle a validé, et si elle a elle-même ruiné sa réputation avant même que d’autres ne le fasse, la plupart du temps par des mensonges, par une propagande fallacieuse et par des rumeurs, comme cela se produit chez nous, aucun dirigeant ni aucun leader n’y survivront. Et pour cette raison, nous resterons sans direction fédératrice, sans projet et sans programme de travail, sans vision commune et sans capacité à faire fructifier nos sacrifices et à les traduire en gains politiques et en victoires. Nous faisons des sacrifices sans récolter grand-chose en contrepartie, en tout cas sans récolter des gains qui soient à la hauteur de nos sacrifices. Telle est notre situation depuis près de cinq années. C’est pourquoi je suis persuadé que la formation d’une direction nationale rassemblant les combattants et les politiques est aujourd’hui la tâche primordiale de la Révolution syrienne. Si nous n’y parvenions pas, nous serions exclus de la solution du conflit et nous continuerions à faire des sacrifices et à perdre des martyrs par dizaines quotidiennement sans pouvoir arracher le moindre acquis ou le moindre des droits et la satisfaction de la moindre de ces aspirations que tous les peuples ont en partage. Tout ce à quoi nous aurons droit, c’est à ce règlement qui aura pour prix la mise à l’écart de l’opposition syrienne et son passage par pertes et profit – au motif de son éclatement et de ses divisions ou de son extrémisme, voire de son terrorisme.
Or, ce qu’il s’est produit en Syrie, c’est que personne ne veut confier cette mission (de direction) à qui que ce soit. Tous se battent pour se l’arroger, et c’est ainsi que cette fonction est restée vacante et qu’en compensation, nous avons accepté des gens que nous n’avons amenés là qu’à la seule fin de combler ce vide, sans leur vouer le moindre des respects ni la moindre des confiances, et sans susciter chez eux le moindre sentiment de leur responsabilité ni l’engagement ou l’enthousiasme à prodiguer des efforts et à endosser les difficiles responsabilités d’une direction. Nous avons eu plusieurs dizaines de candidats égarés, de responsables calamiteux, de chargés de direction HS et de leaders perdus dans les nuages qui attendaient leur heure de gloire lors de chaque séance et lors du moindre revirement. Pour qu’un dirigeant bénéficie de la confiance des pays étrangers et de l’opinion publique, il faut qu’il jouisse, avant cela, de la confiance de ses électeurs et de ses sympathisants, c’est-à-dire de ceux qui lui ont fait et lui font confiance. Si celle-ci lui fait défaut à l’intérieur, il n’en jouira pas à l’étranger : c’est ce qui est arrivé aux dirigeants de nos instances tant politiques que militaires. Était-il logique que les Syriens n’aient pas eu de personnalités disposant de l’expérience, de la justesse de jugement et de connaissances suffisantes en matière de politique et de relations internationales ? Mais si l’opposition rejette elle-même toute personnalité qu’elle a elle-même choisie pour être son leader, un choix qu’elle a validé, et si elle a elle-même ruiné sa réputation avant même que d’autres ne le fasse, la plupart du temps par des mensonges, par une propagande fallacieuse et par des rumeurs, comme cela se produit chez nous, aucun dirigeant ni aucun leader n’y survivront. Et pour cette raison, nous resterons sans direction fédératrice, sans projet et sans programme de travail, sans vision commune et sans capacité à faire fructifier nos sacrifices et à les traduire en gains politiques et en victoires. Nous faisons des sacrifices sans récolter grand-chose en contrepartie, en tout cas sans récolter des gains qui soient à la hauteur de nos sacrifices. Telle est notre situation depuis près de cinq années. C’est pourquoi je suis persuadé que la formation d’une direction nationale rassemblant les combattants et les politiques est aujourd’hui la tâche primordiale de la Révolution syrienne. Si nous n’y parvenions pas, nous serions exclus de la solution du conflit et nous continuerions à faire des sacrifices et à perdre des martyrs par dizaines quotidiennement sans pouvoir arracher le moindre acquis ou le moindre des droits et la satisfaction de la moindre de ces aspirations que tous les peuples ont en partage. Tout ce à quoi nous aurons droit, c’est à ce règlement qui aura pour prix la mise à l’écart de l’opposition syrienne et son passage par pertes et profit – au motif de son éclatement et de ses divisions ou de son extrémisme, voire de son terrorisme.
[AR] : Jusqu’où pourrait aller ce fameux « règlement » ? Jusqu’à une partition de la Syrie, par exemple ?
[BG] : Aujourd’hui, tout est possible. En effet, les forces antagonistes régionales et internationales sont conscientes du poids pris par la crise, ainsi que des dangers de son emballement, et elles aspirent à une solution. Elles sont prêtes à faire les concessions dont elles ont le sentiment qu’elles sont à même de les faire sans avoir à subir de perte tant dans leurs principaux bastions militaires que dans leur réputation. C’est pourquoi les grandes puissances ne veulent pas s’impliquer dans une confrontation qui ne pourrait qu’entraîner une prolongation de la durée du conflit. Quant à savoir de quel sera le genre de ce règlement, cela dépendra en grande partie de nous, de nous les Syriens, et de nous les Syriens de l’opposition, en particulier. Si nous réussissons à pousser dans le sens de la mise en application de la déclaration de Genève I, qui stipule la préservation de l’unité de l’État et de son territoire, avec des modifications constitutionnelles garantissant l’égalité et la reconnaissance des droits des minorités, ce qui exige que l’opposition soit unie et forte, il n’y aura pas de partage de la Syrie. Mais si nous ne parvenions pas à une solution qui convainque toutes les composantes syriennes et si le monde en vient à désespérer de nous, la partition de la Syrie sera à l’ordre du jour sous le nom de fédéralisme, c’est là la solution la plus simple, même si elle ne saurait mettre un terme à tous les problèmes et si elle ne stoppe pas la guerre, ne faisant que la relancer à l’intérieur de chacun des mini-États proposés avec encore bien plus de férocité qu’aujourd’hui, car il s’agira de guerres d’épuration ethnique et de guerres ouvertement interconfessionnelles ne connaissant aucun frein ni aucune limite, et ce, sur la base : « Puisque vous n’avez pas été capables de trouver un accord entre vous, séparez-vous ! ». C’est ce qui s’est produit en Irak. Le fédéralisme qui y a été en réalité imposé, même si cela n’est pas ouvertement déclaré, n’a pas mis fin à la guerre dans ce pays. Mais il a détruit l’État national unifié (irakien), après quoi il en a empêché la reconstruction. Mais assurément, ce qui est préoccupant, en l’occurrence, c’est le fait que beaucoup de politiciens spécialistes des relations internationales ne connaissent qu’imparfaitement la situation syrienne et qu’ils croient qu’il se déroule en Syrie plusieurs guerres sans issue entre toutes les communautés religieuses et entre toutes communautés ethno-nationales et que, même si la partition de la Syrie ne règlera certainement rien, ils pourront dire qu’ils auront au moins tenté de faire quelque chose mais sans y avoir réussi, comme ils le disent déjà à propos de l’Irak et de la Libye, et ils trouvent dans la partition du pays une porte de sortie qui leur permette de s’exonérer de leurs responsabilités.
La solution à la russe, dont il semble qu’elle parie sur le soutien apporté à l’État syrien au travers du soutien apporté au régime Assad et de son sauvetage peut encourager à emprunter cette voie, si la solution russe persiste à maintenir Assad et si elle continue à imposer cette solution aux autres protagonistes par la force, contribuant de ce fait à rendre le conflit interminable et à aggraver la coupure entre les Syriens et à bouleverser les équilibres démographique, sociaux et militaires du pays.
L’Occident s’oriente quant à lui, aujourd’hui, en dépit des discours apaisants de certains de ses dirigeants, vers une sortie de crise qui soit rapide. Sa réflexion porte sur la manière de se retirer en essuyant le minimum de pertes et sans perdre le moins du monde la face, c’est-à-dire en veillant à ce que l’opposition qu’il a soutenue au cours des années passées obtienne un petit quelque chose et ne se retrouve pas gros Jean comme devant.
Quoi qu’il en soit, l’opposition ne doit accepter de partition à aucun prix. Une partition apporterait en effet non pas la paix, mais une guerre permanente, et tout le monde en reviendrait, mais seulement après avoir pris conscience de son échec. Donc, pas avant que tout le pays ait été réduit à l’état de ruines. Mais il est possible, et sans doute utile, aujourd’hui, que l’opposition accepte un gouvernement autonome pour les minorités qui en feraient la demande, voire également pour d’autres, les habitants concernés disposant de leur administration autonome, mais pas en matière de territoire – celui-ci devant rester uni et soumis à un droit unique, celui de la souveraineté de la république et de sa constitution, et donc sans que le pouvoir autonome des communautés porte atteinte aux principes fondamentaux de la République syrienne en matière d’égalité entre tous les citoyens, de l’état de droit et de l’égalité entre tous les citoyens en matière de droits et de devoirs. De ce fait, il ne saurait être question de fédéralisme, mais bien d’une administration décentralisée permettant aux individus et aux groupes de jouer un rôle plus important que par le passé dans la prise de décision en ce qui concerne leurs propres affaires, et ce, dans chaque région et dans chaque département.
Fatwas djihadistes
[RA] : L’on assiste aujourd’hui à un regain de fatwas djihadistes, après l’entrée directe de la Russie dans le conflit, comme la fatwa du Sheikh Karîm Râjih ou la déclaration des Frères musulmans… Qu’en pensez-vous ?
[BG] : Il s’agit pour partie d’un enthousiasme religieux qui trouve son origine dans la crainte pour la Révolution et pour ses intérêts, mais pour ce qui concerne leur dimension politique, il s’agit d’une sorte de course à qui réussira à imposer une nature particulière à la Révolution avant même que celle-ci ait vaincu. C’est pourquoi, il s’agit, en troisième part, d’ignorance politique. Et il s’agit aussi d’apporter de l’eau au moulin des forces qui tiennent la Révolution en embuscade et qui se servent de son caractère religieux de plus en plus accentué pour refuser la transition démocratique et pour réfuter également la propagande négative visant ces mouvements. De toute évidence, cela va à l’encontre de la politique dont nous avons besoin aujourd’hui pour contrer la campagne militaire russe et pour faire échouer les appels à régler la crise au détriment de forces de l’opposition se voyant accuser d’être majoritairement islamistes. Au contraire, il faut que l’opposition syrienne, aujourd’hui, raccommode la cassure entre ses composantes islamistes et ses composantes civiles et qu’elle affirme le principe du pôle national unificateur ouvert à tous les Syriens en sa qualité d’unique porteur authentique du projet de changement et du rêve syrien d’une démocratie pluraliste dans laquelle tous les citoyens vivront sur un pied d’égalité sans égard pour leur appartenance religieuse, politique et ethnique, une Syrie démocratique dans laquelle tous les groupes et toutes les formations religieuses et ethniques coexisteraient sous la protection de son gouvernement. Il va de l’intérêt des Russes et du régime Assad que ce pôle disparaisse et qu’il se dissolve dans des oppositions dispersées en conflit et en concurrence entre elles, et que certaines d’entre elles se dirigent davantage vers des orientations religieuses qu’il leur sera facile de stigmatiser en les accusant d’extrémisme. Certains opposants ont le sentiment que l’excitation des sensibilités religieuses et l’ajout d’un caractère islamique à la Révolution ont leur importance non seulement pour apaiser la majorité, qui souffre de marginalisation et de persécution en raison de son identité et de ses droits, mais aussi parce que cela serait nécessaire pour se gagner davantage de combattants syriens et arabes, pour les mobiliser et pour les pousser à davantage de sacrifices dans la confrontation avec l’ennemi. Il y a, en cela, beaucoup de réalisme froid. Mais ce qu’ils croient gagner en adoptant cette stratégie axée sur la mobilisation religieuse, ils le perdent sur d’autres plans, et il en va de même de l’affirmation de cet engagement qui referme assurément tout autant la porte du dialogue national généralisé et conduit à une mauvaise compréhension de la Révolution et de ses slogans par les yeux pays influents qui font la pluie et le beau temps en matière de soutien militaire et politique. Aussi grands soient les sacrifices consentis par un peuple syrien et aussi grand soit le nombre de ses martyrs, aucune révolution ne pourra triompher et se transformer en État, à notre époque fondée sur la mondialisation et sur des interactions permanentes et extrêmement importantes entre les régions et entre les pays, sans avoir obtenu au préalable la reconnaissance de pays grands et petits, ou d’un groupe influent de pays. Parier sur le contraire ne peut que se traduire par un glissement (conscient ou inconscient) vers les positions d’Al-Qâeda et par l’abandon d’un projet d’édification d’un État politique au profit du projet d’un « djihâd » permanent et d’une guerre interminable.
Pour qu’il y ait un troisième pôle, une troisième voie qui soit capable de briser l’équation qu’Assad et les Russes veulent nous imposer, d’un côté, et de briser aussi celle à laquelle réfléchissent les Occidentaux, de l’autre, comme alternative désastreuse mais unique constituée de Bachar + les Russes + l’Occident, ce troisième pôle étant le fédéralisme, il faut que toutes les forces révolutionnaires aspirant à arracher le pouvoir, à reconstruire l’État et à protéger son indépendance, sa souveraineté et l’unité de son territoire et de son peuple se réunissent sous un même drapeau, celui de la Révolution, et sous des mots d’ordre communs : l’État de la liberté face à l’État (assadien) de la tyrannie et de la cruauté, l’égalité plus la justice dans l’état de droit. Porteuse de ce message, la Révolution pourra réunifier les Syriens, recouvrer la confiance de l’opinion publique mondiale et se gagner le soutien des nations et leur contribution à la reconstruction de ce que la dictature et la sauvagerie auront détruit tant au niveau de l’économie que sur le plan humain.
[RA] : Généralement, vous qualifiez le régime Assad de régime mafieux qui a mis les minorités religieuses au service de ses intérêts. Mais certains considèrent que ce qui s’est produit, en réalité, après toutes ces années, c’est que des minorités se sont rassemblées derrière Assad de leur propre mouvement. Cela ne vous amène-t-il pas à modifier votre description de la situation ?
[BG] : Le régime a annexé les gens en leur faisant peur, et non par le fait qu’il les aurait convaincus de la validité de ses idées et/ou de sa politique. Lui et ses alliés, ils ont déployé une intense activité afin de diffuser la terreur parmi eux en caricaturant l’image des Révolutionnaires et des opposants. Mais si l’on procède à une analyse approfondie, personne, parmi les gens qui se sentent obligé de soutenir le régime, y compris chez les alaouites, n’a d’intérêt puissant ni a fortiori éternel à marcher derrière des dirigeants qui ont conduit tout le monde au suicide et qui ont conduit le pays à ce qu’il soit occupé par d’autres pays et par des milices étrangères. Il a suffi aux services d’Assad de déposer quelques bombes et de mutiler pour les défigurer quelques cadavres ici et là pour pousser des minorités particulièrement affaiblies à prendre parti pour le dictateur. Dans l’immense majorité des cas, ils ne l’ont pas fait par peur des islamistes, comme on a voulu le donner à accroire : ils ont tout simplement eu peur des représailles des hommes de main de Bachar al-Assad, les shabbîha, de ses agents et de ses services de renseignement. Cela vaut également pour la majorité des citoyens ordinaires alaouites : ceux-ci se sont réfugiés auprès du régime de peur de sa répression à leur encontre, au début des événements, puis de peur que les Révolutionnaires et les opposants ne se vengent contre eux des crimes perpétrés contre eux-mêmes par le régime. Cela ne signifie nullement qu’ils seraient tous devenus des partisans d’Assad ni que celui-ci serait devenu le représentant des chrétiens ou d’autres Syriens appartenant à des minorités. Le régime était et reste constitué d’une camarilla corrompue et peu nombreuse, y compris par comparaison à la population alaouite. Si l’on excepte ceux qui ont été achetés contre des nominations à des postes à responsabilités, contre des vols à grande échelle, en échange de leur association aux mafias de l’argent, de la drogue, des armes et du terrorisme, qui appartiennent à toutes les confessions religieuses et à toutes les composantes ethno-nationales et ne représentent pas plus de 5 pourcents des Syriens, personne n’a retiré le moindre profit du régime. En revanche, l’immense majorité des Syriens ont souffert des malheurs et des catastrophes des guerres provoquées par la politique du régime. A contrario, personne n’a rien à perdre au changement, y compris les alaouites, qui ont subi les pires catastrophes à cause de sa politique à la fois démente, criminelle et suicidaire.
Dans son contenu socio-économique, ses modes de fonctionnement, son style de gouvernement, sa manière de traiter le peuple, le régime Assad a toujours été et reste un régime mafieux Il s’agit d’un gang organisé sous la forme d’un État qui ne respecte aucun standard éthique, aucun processus politique connu ni aucune croyance religieuse ou confessionnelle : ce régime n’est mû que par ses seuls intérêts privés, il exploite tout le monde, les sunnites comme les alaouites, les minorités et les majorités pour assurer sa survie et pour élargir l’étendue de ses pillages et de sa tyrannie. Ce régime mafieux n’a jamais tenté de proclamer un quelconque pacte entre les minorités ni de mobiliser celles-ci derrière lui ni de lier leur sort à sa personne, si ce n’est pour les impliquer dans sa confrontation avec la Révolution populaire et afin de dresser une partie de ces communautés minoritaires contre la majorité sunnite qui constitue une large base du peuple, ainsi que contre la Révolution, dans le cadre de la stratégie déployée par Assad consistant à mélanger les cartes et à tenter (vainement) de rendre neutre le bloc sunnite et de faire avorter la Révolution.
Il n’y a aujourd’hui en Syrie de conflit, ni autour de la foi ni autour de la modification des croyances religieuses. Cela existe peut-être chez les Iraniens, ou tout au moins chez certains d’entre eux, mais pas chez les Syriens. Le conflit actuel en Syrie est un conflit autour du pouvoir, autour de l’État et autour des ressources du pays. Personne ne veut contraindre qui que ce soit à changer de religion, comme voulaient le faire les Croisades au Moyen Âge. La plupart des Syriens ne combattent pas aujourd’hui en étant mus par des motivations religieuses, mais bien pour poursuivre des buts de nature politique et sociale. Même les membres de Dâesh ne se battent pas pour la religion, cette religion qu’ils renient à chacun des pas qu’ils font : non, ils combattent pour conquérir l’État, le pouvoir et les ressources économiques du pays, c’est-à-dire pour un but tout ce qu’il y a de plus séculier et profane, et non pour je ne sais quelle mission religieuse.
[RA] : Que pensez-vous du concept, nouveau, d’alaouitisme politique ? Son apparition vous étonne-t-elle ?
[BG] : Ce nouveau concept a été bien plus mal compris qu’il n’a de sens, à dire le vrai. Il est dans la continuité du « maronitisme politique », qui entend désigner l’hégémonie d’une élite aux origines maronites sur la politique de l’État (libanais) et qui justifie cette hégémonie en établissant un lien entre l’existence dudit État, la présence chrétienne et le rôle éminent de la communauté maronite (au Liban). Le renoncement au concept de « maronitisme politique » équivaut à renoncer à la croyance selon laquelle cet État (libanais) aurait été créé à la seule fin de faire émerger une élite du sein d’une communauté bien définie. La Syrie n’a pas été créée à la seule fin que Bachar et sa clique, ainsi que les familles de son entourage, la gouvernent pour l’éternité.
Peut-être ce qu’Al-Azem signifie par ce concept d’alaouitisme politique vise-t-il l’effort déployé par la clique au pouvoir pour mobiliser les alaouites derrière elle sous un autre prétexte, celui de la peur de la domination des sunnites et des dangers que cette domination est censée représenter pour eux, à la seule fin de conserver le pouvoir, si possible éternellement.
Mais, au final, les alaouites ne peuvent pas croire, quels que soient les efforts déployés par le régime pour les tromper, que la Syrie aurait été créée à la seule fin d’être le royaume éternel d’Assad et de ses descendants et que leur existence est conditionnée à celle de la dictature sanglante et à son maintien quel qu’en soit le prix, et qu’ils sont prêts à se battre jusqu’au dernier alaouite contre tous les autres Syriens pour conserver leur Assad et pour permettre à son héritier de lui succéder après sa mort. Ce que veut le citoyen alaouite, c’est exactement ce que veut n’importe quel citoyen syrien où que cela soit en Syrie : ils veulent la paix, la sécurité, l’égalité, la justice, l’égalité des chances dans tout ce qui concerne le travail, la formation, la formation permanente, la promotion professionnelle et sociale. Même à supposer qu’un État alaouite existe un jour, les membres de la communauté alaouite accepteront-il que cet Etat alaouite soit gouverné par les gros bras d’Assad, les shabbîha, par ses services de sécurité, par la pratique des assassinats et des tortures qui leur seront infligées, à eux et à leurs enfants, dans les sous-sols des prisons et des camps d’internement ? C’est la raison pour laquelle je n’ai jamais été emballé par ce nouveau concept. J’y ai vu une tentative pour comprendre au travers d’un rapprochement de la situation syrienne avec la situation libanaise. Mais, personnellement, je ne pense pas que le conflit en cours en Syrie soit une guerre de religions, même s’il y a aujourd’hui, en marge du conflit politique visant à changer les bases du pouvoir, également des machinations confessionnelles qu’il convient de traiter et de déjouer.
Mais les principaux enjeux du conflit syrien, aujourd’hui, ne sont ni confessionnels ni nationaux. L’enjeu, c’est l’État syrien, auquel sont liés les intérêts de tous les Syriens, exactement comme les intérêts de tous les Syriens étaient confisqués, dans le territoire de cet État, par le régime, avec tous les moyens dirimants dont il disposait, au profit de la mafia régnante. J’insiste sur ce qualificatif de régime mafieux. Et, même si la majorité des membres patentés de cette mafia étaient d’origine alaouite, cela ne signifie pas qu’ils y travaillaient dans l’intérêt de la communauté alaouite, dont la majorité des membres vivent dans un extrême dénuement, sous le fardeau de l’analphabétisme et de l’ignorance, et dont les événements ont montré que la protection de leurs intérêts et même de la vie de leurs enfants n’a jamais fait partie des préoccupation des chefs de la mafia dont il est question ici, ni, encore moins, de leurs objectifs.
Enfin, quelle que soit la part de pertinence du concept de l’alaouitisme politique en tant que concept analytique, on ne saurait accuser (son initiateur), Sâdiq Jalâl al-Azem, de communautarisme, lui qui est le penseur arabe qui a le plus écrit de livres consacrés à la critique de la religion et de la pensée religieuse dominante. Et assurément, lorsqu’il critiquait la religion, il ne visait en aucun cas les alaouites.
samedi, octobre 10, 2015
حول التدخل الروسي في سورية
يبدو أكثر فأكثر من سلوك الروس وتصريحاتهم أن اجتياحهم العسكري الأخير للساحة السورية لم يكن بهدف فرض الحل السياسي الذي يناسبهم وإنما بالعكس، لتخريب أي حل، ما لم يذعن الغرب لشروطهم ومطالبهم في أوكرانيا وغيرها .
ولا يفهم إطلاقهم الصواريخ الاستراتيجية من بحر قزوين إلا على أنه رسالة للغرب، لا علاقة لها بالحرب ضد داعش ولا بسورية . ولكنها رسالة على شكل استعراض صبياني للقوة ينم عن تهور وعباطة، أي ضعف، أكثر مما يعبر عن الشجاعة والشوكة.
يقدم بوتين بسياسته المغامرة الجديدة في سورية فرصة لا تعوض بثمن لاستعادة واشنطن زمام المبادرة في الأزمة السورية والتعويض عن فشلها المدوي في السنوات الخمس السابقة. وهي لا تحتاج لتحقيق ذلك إلى أكثر من مد المقاتلين السوريين بالأسلحة الكفيلة بتحويل الطائرات الروسية إلى أهداف سهلة للمضادات الأرضية. عندئذ، لن يضطر الغرب من أجل إجبار الروس على القبول بالحل في سورية ألى التنازل في أوكرانيا وفك العقوبات، كما تريد موسكو. سيكفيه السماح لروسيا بالخروج من الشرك الذي وقعت فيه، بغطرستها وسوء أفعالها، من دون إراقة ماء وجهها. وإلا فنحن على أبواب مواجهة عالمية لا يمكن لأحد التنبؤ بمآلاتها.
ما يستهدفه التدخل الروسي هو رأس المعارضة نفسه، ووجودها، طالما أنه يعتبرها تمردا على الحكومة الشرعية، ولا يتردد في إعلان تغطيته الجوية لهجومات النظام البرية على الفصائل المسلحة جميعا. وبمقدار ما يسعى إلى فرض الأمر الواقع بالقوة، يقوض هذا التدخل كل الجهود الدولية للبحث عن حل سياسي ومرجعية جنيف التي قام عليها، كما يدفع إلى إطالة أمد الحرب، ويهدد بتحويل سورية إلى أفغانستان جديدة، مع ما يعنيه ذلك من تفاقم موجات النزوح وتفريغ البلاد من سكانها، وتنامي مخاطر تقسيم البلاد وتعميق القطيعة بين جماعاتها المختلفة. وبدل أن يقضي على الارهاب كما تقول بياناته، سوف يزيد التدخل الروسي من جاذبية المنظمات المتطرفة التي تجعل من الحرب ضد روسيا قضية وطنية ودينية في الوقت نفسه. وفي موازاة ذلك سوف تعزز الحرب الدولية بالوكالة من تبعية السوريين، في الحكم والمعارضة، للدول الأجنبية الداعمة، ويقوض أمل السوريين في التفاهم والتقارب والعودة إلى الوطنية الجامعة.
ولا يفهم إطلاقهم الصواريخ الاستراتيجية من بحر قزوين إلا على أنه رسالة للغرب، لا علاقة لها بالحرب ضد داعش ولا بسورية . ولكنها رسالة على شكل استعراض صبياني للقوة ينم عن تهور وعباطة، أي ضعف، أكثر مما يعبر عن الشجاعة والشوكة.
يقدم بوتين بسياسته المغامرة الجديدة في سورية فرصة لا تعوض بثمن لاستعادة واشنطن زمام المبادرة في الأزمة السورية والتعويض عن فشلها المدوي في السنوات الخمس السابقة. وهي لا تحتاج لتحقيق ذلك إلى أكثر من مد المقاتلين السوريين بالأسلحة الكفيلة بتحويل الطائرات الروسية إلى أهداف سهلة للمضادات الأرضية. عندئذ، لن يضطر الغرب من أجل إجبار الروس على القبول بالحل في سورية ألى التنازل في أوكرانيا وفك العقوبات، كما تريد موسكو. سيكفيه السماح لروسيا بالخروج من الشرك الذي وقعت فيه، بغطرستها وسوء أفعالها، من دون إراقة ماء وجهها. وإلا فنحن على أبواب مواجهة عالمية لا يمكن لأحد التنبؤ بمآلاتها.
ما يستهدفه التدخل الروسي هو رأس المعارضة نفسه، ووجودها، طالما أنه يعتبرها تمردا على الحكومة الشرعية، ولا يتردد في إعلان تغطيته الجوية لهجومات النظام البرية على الفصائل المسلحة جميعا. وبمقدار ما يسعى إلى فرض الأمر الواقع بالقوة، يقوض هذا التدخل كل الجهود الدولية للبحث عن حل سياسي ومرجعية جنيف التي قام عليها، كما يدفع إلى إطالة أمد الحرب، ويهدد بتحويل سورية إلى أفغانستان جديدة، مع ما يعنيه ذلك من تفاقم موجات النزوح وتفريغ البلاد من سكانها، وتنامي مخاطر تقسيم البلاد وتعميق القطيعة بين جماعاتها المختلفة. وبدل أن يقضي على الارهاب كما تقول بياناته، سوف يزيد التدخل الروسي من جاذبية المنظمات المتطرفة التي تجعل من الحرب ضد روسيا قضية وطنية ودينية في الوقت نفسه. وفي موازاة ذلك سوف تعزز الحرب الدولية بالوكالة من تبعية السوريين، في الحكم والمعارضة، للدول الأجنبية الداعمة، ويقوض أمل السوريين في التفاهم والتقارب والعودة إلى الوطنية الجامعة.
De ma participation à la Révolution syrienne
Vous
attendiez-vous à ce qu’une révolution éclate en Syrie ?
Oui,
après les révolutions tunisienne et égyptienne, ce n’était plus
qu’une question de temps. J’en attendais les signes. Lors de
l’affaire de Deraa au cours de laquelle le régime a réagi de
manière particulièrement brutale, en enlevant et torturant des
enfants qui avaient écrit « C’est ton tour Docteur (i.e.
Bachar El Assad) », j’ai su que la révolution allait éclater
de manière imminente. Il est vrai que beaucoup de gens, Syriens
comme étrangers, n’imaginaient pas qu’un peuple aussi contrôlé
que le peuple syrien serait capable de se soulever. Il y avait certes
beaucoup de peur, mais les Syriens ont été encouragés par les
exemples tunisiens et égyptiens dans lesquels ils ont vu qu’il
existait un moyen pacifique d’obtenir un changement dans leur pays
sans avoir à en payer le prix fort. Ils étaient aussi capables que
les Tunisiens et les Égyptiens de descendre dans la rue pour
défendre leurs droits. Il y avait certes le précédent de Hama en
1982 ; le régime avait massacré une partie de la population et
rasé des quartiers entiers de la ville. Mais l’état d’esprit
des gens avait changé depuis.
La
réponse violente du régime aux manifestations pacifiques lors des
deux premiers mois de la révolution syrienne m’a fait craindre que
les gens reculent. Chaque jour, une vingtaine de jeunes mouraient
sous les balles de snipers. Mais une fois les premiers morts tombés,
et donc la mort affrontée, les gens se sont sentis prêts à mourir
pour la cause et ils le disaient. Ils étaient exaltés, illuminés
par l’espoir de s’affranchir de quarante ans de dictature. Comme
j’intervenais beaucoup dans les médias, la question m’a été
posée de savoir si je ne craignais pas d’être tué, en raison de
mes positions. Je me suis rendu compte que je n’avais pas peur de
mourir, et que j’étais dans le même état d’esprit que ces
jeunes.
Quel
a été votre rôle au début de la révolution syrienne ?
Mon
rôle était évident : la parole. J’étais en contact avec
les jeunes sur le terrain via les réseaux sociaux, je suivais heure
par heure ce qu’y s’y passait. Je communiquais avec eux, leur
donnais des conseils. Même si je n’étais pas en Syrie, je vivais
avec eux. Il y avait une sorte de communion entre nous. D’ailleurs,
un jour alors que j’étais sur le plateau de la chaîne en-directe
al-Jazeera Mubasher, des manifestants qui suivaient l’émission
avaient contacté la chaîne par téléphone pour m’interpeller, je
leur ai répondu en direct. Ce peuple qui se soulevait avait besoin
d’un porte-parole, je pense avoir été en quelque sorte son
premier porte-parole, mais pas le seul bien évidemment. C’est
d’ailleurs ce qui explique que lorsque le Conseil National Syrien a
été fondé, on m’a demandé d’en être le premier président.
Comment
l’opposition s’est-elle organisée pour encadrer la révolution ?
Il
y a eu de nombreuses réunions de Syriens de l’opposition, avant la
création du CNS. Mais je n’ai pas assisté à l’ensemble de ces
réunions qui ont eu lieu, pour la plupart, en Turquie. Comme ma
présence servait de caution à ces réunions, vu cette position de
porte-parole que j’avais, j’ai pris soin de ne me rendre qu’à
celles qui représentaient le plus la diversité des opinions
politiques syriennes. Il m’est arrivé une fois de me retrouver
dans une réunion où la plupart des participants étaient
principalement de la même couleur politique, islamiste en
l’occurrence, j’ai donc décidé d’y assister seulement en tant
qu’observateur, sans prendre part aux débats.
La
première réunion s’est tenue à Antalya. Elle était préparée
et financée essentiellement par un homme d’affaire syrien vivant à
l’étranger Kamal Sanqar. J’ai posé comme condition de ma
participation que le financement de la réunion ne soit pas assuré
par une mais plusieurs personnes pour éviter toute suspicion. Mais
cela n’a pas été possible. Je n’y ai donc pas été. Il y a eu
des réunions à Istanbul, Bruxelles.
Comment
vous imaginiez-vous le cours des événements ?
Pour
nous autres Syriens, notre modèle c’était la Tunisie et l’Égypte.
Nous attendions une amplification du mouvement de révolte et
l’occupation d’une place à Damas, celle des Omeyyades ou celle
des Abbassides, un peu comme la Place Tahrir au Caire. Je n’ai
jamais pensé que les choses évolueraient différemment. Nous
pensions tous que face à un mouvement populaire d’une telle
importance, en dépit des trente à quarante morts par jour, le
régime ne pourrait continuer éternellement à ignorer le peuple.
Sous la pression populaire, soldats et officiers feraient forcément
défection et le régime n’aurait d’autre solution que de quitter
le pouvoir ou de négocier. Dans l’opposition, nous n’avions pas
d’autre stratégie que celle de nous appuyer sur l’amplification
de ce mouvement populaire dont nous pensions qu’il finirait par
imposer sa volonté au régime, comme ce fut le cas en Tunisie et en
Égypte. C’est pourquoi, nous avons soutenu ce mouvement pacifique.
Face à la répression du régime, nous n’avons jamais encouragé
l’action militaire. Car pour nous dans l’opposition, il était
évident que cela aurait transformé le mouvement pacifique en
révolution armée, ce dont nous ne voulions pas, car nous savions
que le régime aurait forcément la suprématie. Passer aux armes,
c’était aussi et surtout prolonger les souffrances des Syriens,
augmenter le nombre de morts, et permettre aux forces étrangères
d’intervenir. Les Syriens perdraient alors le contrôle sur leur
révolution. Au Conseil National Syriens nous en étions parfaitement
conscients. La stratégie du régime avait par contre pour objectif
la militarisation de la révolution par tous les moyens. D’abord la
férocité de la répression était censée pousser les manifestants
à la violence, mais ceux-ci ont continué à réclamer leurs droits
pacifiquement. Le régime a ensuite jeté des armes dans les rues,
les mettant ainsi à disposition de tous. Mais conscients de la
suprématie militaire du régime, les Syriens ne sont pas tombés
dans le piège et ont refusé d’en faire usage. Ils ont continué à
sortir massivement et à manifester pacifiquement, alors que trente à
quarante Syriens étaient alors abattus chaque jour par le régime,
criant « silmiyyeh, silmiyyeh » (i.e. « pacifique,
pacifique »). Le régime s’est alors lancé dans une campagne
de viols des femmes, c’était une véritable « arme de
destruction massive », car comment imaginer que les Syriens
allaient accepter que des enfants soient massacrés et que leurs
femmes et leurs filles soient violées devant les hommes de la
famille et les enfants. J’ai bien sûr mis personnellement en garde
les Syriens contre le danger que faisait peser le recours aux armes
sur la révolution, vu la situation asymétrique. Je leur ai même
conseillé de quitter leurs habitations s’ils étaient en danger,
plutôt que de prendre les armes. Mais que dire à un père ou à un
mari dont la fille ou la femme a été violée en sa présence, et
qui estime devoir venger son honneur atteint, dans une société
conservatrice où la notion d’honneur est centrale ?
N’avez-vous
jamais pensé que la révolution syrienne pouvait suivre le cours du
soulèvement du Bahreïn ou celui de la révolution en Libye ?
Il
n’y a bien sûr aucune comparaison avec le cas du Bahreïn, petit
pays loin de la Syrie. Pour le cas libyen, c’est différent. C’est
un exemple à la fois positif et négatif : positif dans le sens
où la communauté internationale a réagi face à la répression
militaire contre les populations, négatif dans la mesure où une
intervention étrangère dans un conflit est lourde de conséquences
sur l’avenir du mouvement initié par le soulèvement. Face à la
violence de la répression, l’idée d’une intervention étrangère
en Syrie s’est progressivement répandue parmi ces manifestants
mêmes qui étaient fiers du caractère pacifique de leur mouvement,
jusqu’à devenir un des slogans qui baptisent les manifestations du
vendredi1 :
« Le vendredi de l’intervention étrangère ». Pour
nous au CNS, une intervention étrangère en Syrie impliquait
forcément que les pays qui y auraient participé exigeraient en
échange un droit de regard sur les décisions politiques engageant
l’avenir de notre pays après la chute du régime. Nous étions
donc très réticents non seulement au début de la révolution, mais
aussi tant que cette dernière était encore pacifique. Par la suite,
j’ai été très critiqué en raison de mon échec à obtenir une
intervention étrangère. Je savais personnellement qu’aucun pays
ne voulait vraiment intervenir en Syrie, nous pensions en fait qu’il
était important de brandir la menace de l’intervention étrangère
pour faire reculer le régime. Mais nous n’avons même pas obtenu
des États occidentaux qui disaient nous soutenir que cette menace
soit sérieusement brandie. La révolution pacifique s’est donc
très vite trouvée dans l’impasse. On peut dire que la révolution
syrienne est restée pacifique durant sa première année. Mais
lorsque le nombre de morts a atteint une vingtaine de milliers,
beaucoup ont perdu espoir et n’ont plus cru en la stratégie
pacifique. Dès la deuxième année de la révolution, s’est
imposée progressivement l’idée que le régime ne tomberait que
par la force. Des officiers libres qui ont fait défection se sont
organisés pour constituer une armée, l’Armée Syrienne Libre,
fondée par le lieutenant-colonel Hussein Harmouche. Par la suite,
Riyad Al Assaad, colonel de l’armée de l’air, en a été le chef
symboliquement pendant plus d’un an. La stratégie adoptée par
l’ASL sera d’abord défensive : il s’agira de protéger
les civils, en particulier pendant les manifestations, des milices
pro-régime – les chabbiha – et des agents des services de
renseignement.
Quels
ont été vos premiers interlocuteurs, en tant qu’opposants au
régime syrien ?
Nous
avons commencé à nous contacter entre Syriens d’abord, qu’il
s’agisse de ceux qui pendant les trente dernières années ont fait
partie de l’opposition au régime d’Assad, ou bien de ceux qui
sont devenus des opposants au moment de la révolution syrienne. Nous
nous sommes surtout rencontrés entre Syriens. Nous n’avions aucun
contact avec des États étrangers, même pour ceux d’entre nous,
comme moi, qui vivaient à l’étranger. Nous avons commencé à
avoir des interlocuteurs étrangers, qu’ils soient européens ou
arabes, avec la création du CNS. Ce fut mon cas, en tant que
Président de ce conseil.
Avec
la révolution syrienne, l’opposition a été représentée par les
deux principales composantes que sont le Conseil National Syrien
(CNS) et le Comité
de coordination nationale pour les forces de changement démocratique
(CNDD).
Comment se situe-t-elle l’une par rapport à l’autre ?
Avec
la révolution, l’opposition syrienne a regroupé en fait deux
types d’opposition : l’opposition traditionnelle et une
opposition naissante apparue avec les événements et composée de
jeunes activistes. L’enjeu était donc à la fois de surmonter les
divisions au sein de l’opposition traditionnelle et d’unifier ces
deux types d’opposition au régime.
L’opposition
traditionnelle était constituée des partis rescapés de
l’époque où la Syrie avait un régime libéral et qui sous Assad
avait été intégré au Front national progressiste2.
Le
Comité de coordination nationale pour les forces de changement
démocratique est né d’une scission à l’intérieur de ce qu’on
appelle la Déclaration de Damas3,
à la suite d’un conflit entre Hassan Abdel Azim secrétaire
général du parti de l’Union arabe socialiste et Riyad al-Turk
secrétaire général du Parti communiste syrien, devenu ensuite le
Parti du Peuple. Les tentatives de réconciliation ayant échoué,
Hassan Abdel Azim a quitté la Déclaration de Damas avec une partie
de l’opposition. Il en est devenu le coordinateur et j’ai même
été nommé adjoint du coordinateur du CCND et son représentant en
Europe, sans être consulté ! J’ai décliné l’offre. Pour
moi, la création du CCND ou de tout autre organisation politique
n’avait de sens que si l’objectif en était d’unir
l’opposition, sinon c’était aggraver les divisions au sein de
l’opposition et je refusais, en en faisant partie, d’y
contribuer. Dans le fond, les positions du CCND n’étaient pas
différentes de celles du reste de l’opposition syrienne et plus
particulièrement du CNS. La différence essentielle est qu’une
grande partie des membres du CCND vivant en Syrie, il leur était
difficile de soutenir publiquement des positions qui auraient mis
leur vie en danger. Il leur fallait d’une certaine façon adopter
un profil bas. Cette posture a été par la suite présentée comme
une marque de modération censée distinguer la position du CCND de
celle du CNS censée être plus radicale. Or, au CNS, nous ne
faisions que traduire les positions de ceux qui se battent sur le
terrain et sacrifient leur vie pour libérer leur pays de la
dictature. Le CCND a cherché à apparaître comme représentant de
l’opposition dite de l’intérieur, particularité destinée à
lui conférer une grande légitimité, par rapport à une opposition
de l’extérieur que le CNS était censé incarner. Le CCND a
également voulu se distinguer du CNS en présentant ce dernier comme
favorable à une intervention étrangère cependant que lui la
refusait catégoriquement. Or le document fondateur du CNS est très
clair sur la question. Il ne fait aucunement état d’une demande
d’intervention étrangère. Au CNS, nous avons toujours dit que si
la situation exigeait le recours à une intervention étrangère,
cela ne se ferait qu’avec l’accord des instances de notre
conseil, mais aussi des autres composantes de l’opposition
syrienne. Les dirigeants du CCND disaient aussi se différencier du
CNS sur la question de l’armement de la révolution dont ils nous
rendaient responsables. Or, comme j’ai eu l’occasion de leur
dire, le recours aux armes n’a jamais été un choix ; les
Syriens sur le terrain y ont été contraints par la violente
répression du régime. Les positions du CCND étaient en fait de
simples postures qui n’ont jamais permis à leurs dirigeants
d’obtenir quoi que ce soit du régime et ce, malgré la modération
affichée de leurs positions. Cette volonté de distinguer le CNS et
le CCND n’est pas le seul fait de ce dernier, les médias ont
également entretenu l’idée d’une différence pour donner un
sens à l’existence de ces deux composantes de l’opposition.
Comment
est né le Conseil National Syrien ? L’a-t-il été à la
suite d’une initiative étrangère ?
L’idée
que le CNS est né d’une initiative étrangère est répandue en
particulier auprès de ceux qui ont souhaité le discréditer. C’est
en fait une initiative purement syrienne. Il fallait donner à la
révolution syrienne une façade politique, c’était d’ailleurs
ce que réclamaient les manifestants sur le terrain, qui se
demandaient où étaient et que faisaient les opposants. Il y avait
un dialogue permanent entre nous autres, personnalités indépendantes
et membres de partis politiques, dans le cadre de réunions mais
aussi d’entretiens téléphoniques. L’objectif était de mettre
fin à notre éparpillement en nous organisant. L’idée en est née
à l’occasion d’une sorte de table ronde, et non une réunion
politique, regroupant des chercheurs, des intellectuels et des hommes
politiques, portant sur la situation en Syrie, organisée au Qatar
par le centre de recherche « Arab
Center for Research and Policy Studies »
dirigé par Azmi Bishara. À la fin de cette table ronde, nous avons
abordé la question de l’unification et de l’organisation des
opposants syriens au régime. Des membres de la Déclaration de
Damas, du CCND, et d’autres composantes ainsi que des personnalités
indépendantes étaient présents. Par contre, aucun membre des
Frères musulmans n’y participait. Nous nous connaissions tous et
nous avons voulu saisir cette occasion où nous étions réunis pour
faire quelque chose. Nous nous sommes alors mis d’accord sur une
déclaration au nom de ce que nous avons appelé alors « la
coalition nationale des forces de la révolution », nom que
j’ai proposé par la suite lors de la création de la coalition qui
a succédé au CNS comme représentant de la révolution. Cette
coalition comprenait les membres de la Déclaration de Damas et ceux
du CCND présents et dont les positions étaient assez proches. Une
fois le texte de cette déclaration écrit, suite à l’accord entre
ces deux formations, nous avons invité l’autre composante
politique de l’opposition syrienne, les Frères musulmans, à se
joindre à cette coalition. J’avais alors demandé qu’on attende
trois jours le temps d’obtenir les accords officiels des parties
avant de proclamer la naissance de cette coalition. Cela a pris plus
de temps : les Frères musulmans, d’accord sur le principe,
souhaitaient attendre la réunion de leur assemblée (majlis shûra)
pour se prononcer, mais celle-ci n’a pu statuer sur la question
dans le temps imparti ; le CCND n’a pas refusé de faire
partie de la coalition, mais n’a jamais donné son accord officiel
pour l’intégrer. Ce fut notre première tentative de nous
organiser. Elle n’a pas abouti, car toutes les parties n’étaient
pas prêtes alors, mais elle a préparé le terrain à la création
Conseil National Syrien. Le CCND n’a jamais accepté officiellement
de faire partie du Conseil, sans dire non plus qu’il en rejetait
l’idée. Sept places lui était réservées en son sein, comme pour
toutes les autres formations. La porte lui est toujours restée
ouverte et il pouvait à tout moment l’intégrer en envoyant sept
représentants. Il ne l’a jamais fait.
Comment
et par qui le CNS a-t-il été financé ?
Lors
de la création du CNS, nous n’avions aucun financement. Ce n’est
que cinq mois plus tard que nous avons reçu une aide qatarie,
c'est-à-dire un mois avant que je ne quitte mes fonctions en tant
que président. Au départ, nous nous rendions à l’étranger sur
invitation : le transport et l’hébergement était pris en
charge par le pays hôte.
Dans
quelle mesure pouvez-vous dire que le CNS représentait le
peuple syrien ?
La
composition du CNS, lors de sa création, était très diversifiée.
Il y avait la Déclaration de Damas, coalition regroupant plusieurs
partis politique, comme les Frères musulmans et l’Organisation
Démocratique Assyrienne. Les Kurdes y étaient également
représentés. Le CNS a fait aussi une place aux Comités locaux de
coordination qui chapeautaient les manifestations sur le terrain. Les
femmes étaient aussi représentées dans le conseil, mais pas en
tant que représentantes de mouvements féministes. Parmi ces femmes,
il y avait Basma Kodmani, Suheir al-Atassi ou Rima Fleihan. Ce n’est
que par la suite que leur nombre a diminué. On a souvent mis en
avant la prépondérance des Frères musulmans dans le CNS. En
réalité, ils avaient le même nombre de représentants que les
autres formations. Mais le fait qu’ils soient mieux organisés et
qu’ils aient une grande capacité de mobilisation les a souvent mis
sous les feux de la rampe.
Le
Conseil National Syrien a-t-il eu une stratégie de communication à
la fois pour défendre sa cause et pour faire face à la stratégie
de communication du régime syrien ?
Il
n’y a pas eu d’effort fourni ni de réflexion menée pour
élaborer une telle stratégie. Nous pensions que notre cause était
juste et claire et que cela suffisait. A l’intérieur du CNS, nous
nous étions accordés sur le fait qu’il fallait délivrer tous le
même message sur notre cause. C’était le président qui
définissait ce message et il n’y avait pas de divergence sur le
message à diffuser. Notre objectif était un changement de régime
en Syrie, sans qu’il soit porté atteinte aux engagements de la
Syrie avec les pays de la région, auxquels nous avons dit que nous
resterions fidèles. Nous étions évidemment conscients de
l’inquiétude de nos voisins et souhaitions en maintenant ces
engagements préserver notre indépendance face aux États de la
région. Nous avons perdu cette indépendance par la suite en raison
de la tournure qu’a prise la révolution. Nous avons sous-estimé
la propagande du régime et surtout celle de ses alliés iraniens.
Nous n’avons pas répondu à ces mensonges tant ils nous
paraissaient grossiers. J’avais décidé de ne pas réagir à tous
ces propos diffamatoires lancés contre moi. Ce n’est que par la
suite que j’ai pris conscience des préjudices que cela causait
pour moi, mais aussi pour notre cause. Quand le régime, dès les
premiers mois de la révolution, a cherché à discréditer le
mouvement aux yeux des États arabes et occidentaux en agitant
l’épouvantail islamiste, nous n’y avons pas prêté attention,
tant les manifestations sur le terrain apportaient un démenti
cinglant à ces discours mensongers ; qu’il s’agisse des
slogans qu’on y entendait ou qui baptisaient chaque vendredi. Les
manifestations du vendredi étaient régulièrement dédiées à des
héros syriens, de toutes confessions et ethnies, qui avaient marqué
l’histoire de notre pays. La révolution n’a viré vers
l’islamisme qu’après la liquidation de cette première vague de
militants qui se sont engagés dans la révolution et qui étaient
originaires de la classe moyenne urbaine. Ces jeunes militants ont
payé un très lourd tribut durant
un an et demi ; ils ont été tués, arrêtés et torturés ou
ont dû fuir. C’est là
que les banlieues des grandes villes ont fait leur entrée en scène.
D’autres jeunes ont pris le relai. Issus de milieux conservateurs,
ils sont très sensibles aux valeurs religieuses, sensibilité
largement entretenue par la férocité de la répression et le
sentiment d’abandon né de l’inaction de la communauté
internationale. Face à tant d’atrocités subies, seuls les gens
armés d’une foi solide avaient la force de résister.
Qu’en
est-il des contacts de l’opposition avec des gens du régime, que
cela soit fait de manière officielle ou informelle ?
Il
n’y a jamais eu de contact officiel entre l’opposition et le
régime sauf au niveau local dans le cadre de trêves. Car le régime,
comme on a pu le voir à Genève, n’a jamais eu de volonté de
négocier. Si des tentatives ont pu avoir lieu au niveau individuel,
l’objectif ne pouvait être que de compromettre le membre de
l’opposition qui se prêtait à ce jeu.
Comment
avez-vous réagi face au soutien apporté au régime syrien dans
certains pays arabes par la gauche nationaliste ?
Ces
réactions de la part de la gauche nationaliste n’étaient pas une
surprise pour nous. Nombreux parmi ses militants s’opposaient déjà
à la démocratie bien avant les révolutions. Ils craignaient que
toute démocratisation des régimes arabes conduise à l’arrivée
au pouvoir des islamistes. Aveuglés par l’idéologie, ils étaient
les alliés objectifs de la dictature et les complices de la
répression à laquelle celle-ci avait recours pour se maintenir.
Quand
eurent lieu les premiers contacts avec les interlocuteurs régionaux
et internationaux ? À l’initiative de qui ?
Ils
ont commencé avec la création du CNS. Nous avons commencé par
établir un agenda de visites. L’idée était de commencer par les
États arabes : la Ligue arabe dans un premier temps, puis des
pays comme le Qatar, l’Égypte et l’Arabie saoudite. Dans un
deuxième temps, il s’agissait de rencontrer les États européens.
Ce n’est que très tard que nous avons été aux États-Unis. Nous
avons par contre souhaité nous rendre rapidement en Russie pour
expliquer notre cause aux dirigeants de ce pays. Mais le premier pays
avec lequel nous avons été en contact, à son initiative
d’ailleurs, fut la Turquie par l’intermédiaire du ministre des
affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, qui nous y a invités. Nous
avons pu échanger nos analyses sur la situation. Il s’agissait
pour nous de rendre visite aux pays qui nous soutenaient clairement :
la Turquie qui d’ailleurs a accueilli l’opposition syrienne sur
son sol, le Qatar qui nous apportait un soutien politique réel et
dont la télévision al-Jazeera donnait une visibilité à notre
révolution. Il y avait aussi l’Arabie saoudite et l’Europe, la
France en tête. Rencontrer leurs dirigeants nous permettait d’abord
de les remercier pour leur soutien et ensuite essayer de développer
nos relations avec eux. Les invitations des pays européens étaient
il est vrai très nombreuses, au point qu’il m’a été impossible
d’honorer toutes celles qui m’ont été faites. Car notre
priorité au CNS était de rencontrer à la fois les dirigeants des
pays qui nous apportaient le plus grand soutien mais aussi ceux des
acteurs internationaux dont les positions nous étaient hostiles. Je
pense bien sûr à la Russie et à la Chine. Il s’agissait de
dissiper les malentendus et les craintes des dirigeants de ces deux
pays, qui voyaient derrière notre révolution une main étrangère
et s’inquiétaient du rôle que pouvaient y avoir les islamistes.
Nous voulions leur montrer que cette révolution était un mouvement
populaire et que nous étions prêts à coopérer avec eux en vue
d’une solution politique. J’ai été jusqu’au Japon pour
demander aux dirigeants de ce pays de renforcer leur aide.
Les
rapports avec les acteurs régionaux et internationaux :
Quels
ont été vos rapports avec les autorités françaises ?
La
position de la France a été très claire, dès le départ. La
condamnation du régime syrien a été totale et le soutien à la
révolution syrienne franc. Nos relations étaient très bonnes avec
Alain Juppé. Le changement de majorité en 2012 n’a en rien
affecté la position de la France sur la Syrie. François Hollande
que j’ai rencontré avait la même position. Je dirai même qu’avec
l’aggravation de la situation en Syrie, la position de la France à
l’égard du régime syrien a été encore plus ferme.
Quelles
ont été vos relations avec les États-Unis ? Ces relations
ont-elles évolué ?
Les
relations avec les États-Unis étaient meilleures, tout comme leur
position, lorsque Hilary Clinton était Secrétaire d’État. Pour
elle, il y avait une révolution en Syrie et son pays devait
s’engager au côté du peuple syrien. En revanche, Obama a réduit
la révolution syrienne à un conflit entre son allié l’Arabie
Saoudite et son ennemi l’Iran. Refusant de vexer le premier et de
provoquer le second en période de négociations sur le nucléaire,
le président américain a opté pour l’attentisme. D’ailleurs,
Robert Ford, le dernier ambassadeur américain à Damas qui a été
chargé du dossier syrien au moment de la révolution, a démissionné
car il ne supportait plus l’inaction de son gouvernement. Hilary
Clinton elle-même a critiqué la position du président sur le
dossier syrien. Après Bachar El Assad, Barak Obama est le second
responsable de la prolongation des atrocités en Syrie. Son accueil
du Président de la CNS Ahmad Jarba, le 14 mai 2014, était plus un
lot de consolation destiné à faire oublier son attentisme que
l’expression d’un soutien franc à l’opposition syrienne. Quant
au discours actuel des États-Unis affirmant qu’ils vont renforcer
leur soutien à l’opposition syrienne, j’attends de voir.
Quels
ont été vos rapports avec la Russie ?
Ils
se sont détériorés avec le temps. J’ai rencontré quatre fois
Sergueï Lavrov. La première fois4,
il était dans une position défensive peinant à justifier son
soutien au régime syrien. Nous étions nous autres opposants syriens
de la délégation dans une position offensive. Son attitude laissait
entrevoir alors la possibilité d’une évolution positive. Mais la
dernière fois5
que nous l’avons rencontré, Sergueï Lavrov se voyait déjà
victorieux et pensait gagner l’opposition syrienne à sa cause,
infantilisant les Syriens qu’il traitait comme des novices de la
politique.
Le
Qatar :
C’est
un des pays qui soutient le plus la révolution syrienne, le
changement à la tête de l’émirat n’a pas affecté le soutien
apporté par le pays à l’opposition syrienne. Parmi nos alliés,
c’est le seul pays avec lequel le contact est facile ; nous
avons toujours un interlocuteur disponible pour nous recevoir. En
revanche la rivalité de ce pays avec l’Arabie saoudite ainsi que
l’absence de toute coordination entre ces deux pays sur le dossier
syrien, et plus particulièrement sur le volet militaire, ont causé
beaucoup de tort à notre révolution.
Quelle
est l’implication l’Arabie saoudite dans le dossier syrien ?
Quels rapports l’opposition syrienne entretient-elle avec ce pays,
sachant l’hostilité manifeste de ce dernier pour les frères
musulmans, composante importante de l’opposition syrienne ?
Elle
est plus impliquée que le Qatar dans la mesure où elle se sent
directement menacée par l’implication de l’Iran dans le conflit
au côté du régime. C’est pourquoi elle voulait prendre en charge
le dossier syrien, alors que le Qatar avait plus une position de
coordinateur, n’étant pas impliqué directement dans le conflit
syrien. Les Saoudiens considèrent que l’Iran mène en Syrie une
guerre contre eux. C’est ce qui explique l’importance de leur
soutien. Ils ont pris le relai après le retrait des Qataris de la
gestion régionale du dossier syrien. Ils sont avec ces derniers ceux
qui soutiennent le plus politiquement et financièrement la
révolution syrienne. L’Arabie saoudite finance en grande partie le
fonds de l’ONU pour la gestion des réfugiés syriens. Elle apporte
également un important soutien financier à la Coalition destiné à
contribuer aux frais de fonctionnement mais aussi et surtout à
l’achat d’armes pour les katâ’ib
(groupes armés) qu’elle soutient contre le régime. Les Américains
ont exigé de l’Arabie saoudite qu’elle ne fournisse à
l’opposition syrienne aucune arme antichar ou antiaérienne
sophistiquée de fabrication américaine, ce que les Saoudiens ont
respecté. Mais il y a des marchés parallèles, principalement en
Ukraine où sont achetées des armes de fabrication russe. Au départ,
les armes transitaient par un état-major nommé par la Coalition,
qui se chargeait de les livrer aux katâ’ib.
L’Arabie saoudite faisait acheminer les armes par ses propres
moyens jusqu’à cet état-major qui les transférait aux katâ’ib
qu’elle finançait. Puis lorsque le Président de la coalition a
remplacé le chef d’état-major Selim Idriss6,
le remplaçant par le général Abdel Ilah al-Bashir qui n’avait
pas l’assentiment des Américains et des Saoudiens, les armes n’ont
plus transité par l’état-major. Suite aux soupçons de livraisons
d’armes par les Saoudiens ou les Qataris à des groupuscules
islamistes radicaux comme Jabhat al-Nosra et l’État
Islamique 7,
les Américains ont exigé que les armes ne soient plus livrées
directement mais qu’elles transitent, avant livraison, par une
sorte de cellule de coordination, sous supervision américaine,
constituée, de représentants américains, saoudiens, qataris,
français et britanniques, chargés d’assurer la traçabilité de
ces armes. Ce soutien à la révolution syrienne aurait pu être bien
plus efficace, s’il n’était pas entravé par un manque de
coordination de la part de l’Arabie saoudite avec d’une part
l’opposition syrienne et d’autre part les autres pays de la
région favorables à la révolution syrienne. A titre d’exemple,
il n’y a pas d’interlocuteur dédié au dossier syrien
(disponible) avec lequel l’opposition pourrait être dans un
contact permanent.
Quant
à l’attitude des Saoudiens avec les Frères musulmans syriens, je
dirai qu’elle est pragmatique, différente de celle qu’elle
adopte à l’égard de ce même mouvement politique en Égypte. Il
se trouve que dans le dossier syrien, Saoudiens et Frères musulmans
ont le même intérêt : la chute du régime. Les Saoudiens ne
se sentent pas menacés par les Frères musulmans syriens. Pour eux
la menace pour les intérêts saoudiens vient surtout du régime,
allié de l’Iran, et du groupe État
Islamique.
La
Turquie :
La
politique de la Turquie sur la Syrie n’a pas changé dans le fond.
Le pays continue à soutenir la révolution. Ce qui a changé, c’est
le discours. Au début de la révolution, les autorités turques
pensaient que les choses iraient vite. Ils ont donc tenu un discours
très ferme voire agressif à l’égard du régime syrien. Mais la
prolongation de la révolution et la présence sur leur sol de deux
millions de Syriens dont un million de réfugiés les ont conduits à
une plus grande prudence dans leur discours, pour des raisons de
politique intérieure. Les autorités turques soignent en effet leur
communication sur la Syrie, face à une opinion publique qu’une
présence aussi massive de Syriens sur son territoire rend réticente
à une grande implication du pays dans le dossier syrien. Les
autorités turques cherchent en fait à ménager une partie de la
population qui ne partage pas sa politique syrienne, en particulier
son opposition de gauche.
Qu’est-ce
qui a changé dans la position égyptienne sur la Syrie avec
l’arrivée au pourvoir du maréchal Sissi, quand on voit
qu’aujourd’hui les médias du pays n’hésitent pas à soutenir
Assad, dont ils considèrent que l’élection, au même titre que
celle de Bouteflika en Algérie, conforte celle de Sissi en Égypte ?
L’Égypte
sous Mohamed Morsi avait apporté un soutien franc à notre
révolution et manifesté clairement son opposition au régime
syrien. Avec l’accession au pouvoir du Maréchal Sissi, à la
faveur d’une contre-révolution, le nouveau pouvoir égyptien n’a
jamais exprimé de soutien à la révolution syrienne. Le nouveau
président et les idéologues de son régime n’ont aucune sympathie
pour les révolutions dans le monde arabe. Beaucoup parlent des
sympathies du pouvoir égyptien pour le régime syrien. Mais comme le
pays mise sur l’aide de l’Arabie saoudite et que ce pays soutient
la révolution syrienne contre le régime, le nouveau pouvoir
égyptien est obligé de ménager cet allié de poids en n’exprimant
pas officiellement de soutien au régime d’Assad.
Quelle
est aujourd’hui le poids de l’opposition ? A-t-elle une
prise sur le cours des événements en Syrie ?
L’opposition
a de moins en moins de prise sur la situation, car la révolution
syrienne s’est transformée en conflit régional. Cette
transformation vient du déséquilibre des soutiens régionaux et
internationaux aux deux parties. L’Iran et la Russie apportent au
régime syrien un soutien politique, financier et militaire total.
L’opposition est très loin de bénéficier d’un tel soutien de
la part de ces principaux « alliés » : les États
arabes et surtout les États-Unis. Dans un conflit devenu régional,
le poids de l’opposition syrienne dépend du soutien que lui
apportent ses alliés. Sans l’implication des acteurs régionaux,
les Syriens auraient pu faire tomber le régime ; vers le milieu
de l’année 2012, le Palais présidentiel à Damas était à portée
de tir des combattants sur le terrain. Hassan Nasrallah lui-même a
reconnu que sans l’intervention de ses hommes aux côtés du régime
syrien, celui-ci se serait effondré.
Quelle
place l’ONU a-t-elle eue dans le conflit syrien et quel a été
le rôle de ses représentants ?
L’ONU
a très vite été écartée du dossier syrien. En plus des vétos
russes et chinois qui ont dès le départ compromis toute chance de
résolution politique du conflit, le régime syrien et l’Iran ont
dès le départ refusé toute idée de négociation. Lorsque le
vice-président Farouk al-Chareh8
a organisé une réunion de dialogue à l’intérieur de la Syrie en
vue de trouver un compromis politique, prenant au sérieux sa
mission, il a été aussitôt mis à l’écart par le régime.
La
nomination par l’ONU de représentants pour la Syrie n’a
finalement eu pour objectif que d’entretenir l’espoir de
négociations et de maintenir un canal ouvert qui soit prêt lorsque
les parties seront épuisées et donc disposées à négocier. Kofi
Annan était sérieux dans sa démarche, mais il a très vite compris
qu’il n’y avait rien à espérer du côté du régime. Lakhdar
Ibrahimi a résisté plus, sans manifester beaucoup d’espoir. Il
misait sur le fait qu’en tant arabe il connaissait bien la culture
et la mentalité de ses interlocuteurs. Mais il est parvenu aux mêmes
conclusions que son prédécesseur quant à la responsabilité du
régime dans l’échec de la mission de l’ONU. Ces deux
représentants que j’ai rencontrés ne sont en rien responsables
personnellement de l’échec de leur mission.
Qu’en
est-il de la gestion de l’humanitaire ? Quels problèmes
avez-vous rencontrés ?
C’est
un véritable problème. La résolution 2139, demandant un accès
humanitaire aux populations syriennes, votée en février 2014 n’a
jamais été appliquée. 85 % de cette aide est acheminée vers les
territoires contrôlés par le régime. C’est ainsi que les gens
qui en ont le plus besoin, c'est-à-dire 4,5 millions de Syriens
selon les chiffres des Nations Unies, en ont été privés. C’est
une crise humanitaire sans précédent. L’échec de la mise en
œuvre de la résolution 2139 a conduit au projet d’une nouvelle
dont l’objectif serait d’obliger le régime à accepter que
l’aide humanitaire à destination de ces populations ne se fasse
pas par le biais du gouvernement syrien mais par un autre canal. Il y
a encore un risque pour que la Russie oppose pour la cinquième fois
son véto. C’est une catastrophe et le risque d’une famine en
Syrie n’est pas à exclure, vu le blocage de la situation. Il y a
de la part du régime syrien une véritable stratégie pour faire de
la nourriture une arme de guerre : affamer les populations pour
obliger les combattants à quitter les zones où ils se trouvent.
C’est cette stratégie qui explique la conclusion de ces trêves
locales dont on entend parler. L’incapacité des Nations Unies
d’acheminer de la nourriture aux populations permet à Assad de
faire de cette dernière une arme de guerre, certainement de loin la
plus efficace contre les adversaires du régime. La tactique est
simple et ne coûte rien au régime puisqu’elle consiste à
assiégés des quartiers entiers et à laisser les populations mourir
de faim afin que ce soit les populations elles-mêmes qui demandent
aux combattants de partir.
Quelles
ont été les relations de l’opposition avec l’Iran ? Y
a-t-il eu une évolution de la position de ce pays ? Existait-il
un canal de discussion ouvert avec lui ?
L’Iran
a dès le début mis en place cette stratégie qu’Assad n’a fait
qu’appliquer. Celle-là même que l’adjoint au chef d’état-major
de l’armée iranienne Mas’ûd Jazâ’irî évoque à propos
de l’Irak : la répression du mouvement, le refus de toute
négociation afin de ne donner aucun espoir aux insurgés.
Concepteurs de cette stratégie, les Iraniens ont laissé Assad la
mettre en œuvre dans un premier temps, mais lorsqu’ils ont
constaté que le président syrien n’y parvenait pas, ils ont
décidé de prendre les choses en main. Leur implication sur le
terrain, d’abord discrète, est devenue alors tout à fait visible.
Déjà présents en Syrie à la fois à l’état-major de l’armée
syrienne et autour de Bachar El Assad, ils sont alors apparus au
grand jour avec leur bras armé que sont les hommes du Hezbollah et
les milices irakiennes, venus prêter main-forte dans cette mission
de maintien du régime syrien au pouvoir. Pour les Iraniens, leur
présence en Syrie est un droit, celui d’avoir depuis Téhéran un
accès à la mer Méditerranée.
L’opposition
syrienne a cherché à prendre contact avec les Iraniens via des
Libanais chiites de son entourage et des religieux irakiens chiites
de premier plan. Nous souhaitions sonder leurs positions et savoir
exactement ce qu’ils voulaient, afin d’éviter leur implication
dans le conflit et donc les massacres. Nous n’avons reçu aucune
réponse. Certains de nos contacts en Irak, des personnalités très
en vue, nous ont fait savoir que les Iraniens ne voulaient
transmettre aucun message par leur intermédiaire, mais nous
engageaient à venir discuter avec eux en Iran. C’était là un
moyen pour eux de nous discréditer auprès des Syriens qui
n’auraient pas compris que nous nous rendions dans ce pays. J’ai
le souvenir d’un curieux entretien que j’ai eu en 2012 avec un
homme d’affaire français qui travaillait en Iran et que le régime
de ce pays avait chargé de m’approcher pour me sonder. La première
chose qu’il m’avait demandée était la somme d’argent que
l’opposition recevait de la part des Saoudiens, en me précisant
que les Iraniens étaient disposés à doubler la mise. Si les
Saoudiens offraient deux milliards, l’opposition pourrait en
recevoir quatre des Iraniens ! Ces derniers me proposaient une
alliance entre la Syrie et l’Iran qui permettrait de contrer
l’influence américaine dans la région, une alliance qui ne serait
pas d’égal à égal, mais qui ferait de la Syrie le client de
l’Iran. Mon interlocuteur m’a vanté la puissance militaire de
l’Iran qui mettait ce pays à même de jouer un rôle de premier
plan dans la région. L’Iran contrôlerait ainsi l’acheminement
du pétrole par voie maritime via le détroit d’Ormuz et par voie
terrestre via l’Irak, la Syrie et le Liban, en sécurisant ainsi
son débouché sur la Méditerranée. Il fallait naturellement que la
Syrie se désolidarise de ses voisins arabes. Quand je lui ai dit que
la Syrie était un pays arabe et qu’elle ne pouvait rompre avec son
environnement arabe, mon interlocuteur a souri, ajoutant :
« vous autres Syriens vous êtes bien plus proches des Iraniens
que vous ne l’êtes de vos voisins bédouins (i.e. les pays du
Golfe) avec lesquels vous n’avez rien à voir. La Syrie comme
l’Iran ont une grande civilisation. » J’ai naturellement
opposé une fin de non-recevoir à cette alliance qui aurait fait de
la Syrie le vassal de l’Iran. Assad est, pour les Iraniens, le seul
espoir de maintenir leur présence en Syrie, car aucun compromis
entre Syriens (opposition et représentants du régime) ne
permettrait à l’Iran de garder ce contrôle sur le pays. Les
chiites sont très peu nombreux en Syrie et les alaouites ne sont pas
des chiites, leurs traditions sont très différentes, il n’y a pas
chez eux de martyrologie par exemple, alors que cette dernière est
centrale chez les chiites. Les Iraniens ne peuvent donc pas s’appuyer
sur une base populaire pour exercer leur influence en Syrie, comme
cela est le cas en Irak où la population est majoritairement chiite.
Le maintien d’Assad est donc vital pour leurs ambitions régionales.
En poussant le régime à la répression, les Iraniens voulaient dès
le départ le compromettre pour empêcher toute velléité de
compromis avec l’opposition. On sait aujourd’hui que ce sont les
Iraniens qui sont à l’origine de l’attentat qui a eu lieu le 18
juillet 2012 contre plusieurs cadres importants du régime syrien,
qui faisaient partie de la cellule de crise9
et auraient pu être favorables à un compromis politique pour
épargner le pays : Hassan
Turkmani10,
président de la cellule,
Assef Chawkat11,
Hicham Ikhtiyar12
et Daoud Rajha13
qui furent tués et Mohammed Saïd Bakhitan14
qui fut blessé. En Irak même où la majorité de la population est
chiite, si un compromis était trouvé avec les sunnites, cela se
ferait forcément au détriment des Iraniens qui verraient leur
influence dans le pays diminuer fortement, de quatre-vingt pour cent
au moins, ce que les Iraniens veulent éviter à tout prix.
Que
pouvez-vous nous dire de la position du Hezbollah ? Avez-vous eu
des contacts avec leurs membres ?
Le
Hezbollah est une division des Pasdarans iraniens. Ses membres sont
financés, entraînés et armés par l’Iran. Hassan Nasrallah n’est
qu’une icône qui ne dispose d’aucun pouvoir. Les décisions sont
prises à Téhéran. Les membres du Hezbollah n’étaient pas
favorables à l’implication de leur mouvement en Syrie, comme me
l’ont affirmé certains de leurs membres que je connais de longue
date. Ils n’ont fait qu’obéir aux ordres des Iraniens. Les
Libanais chiites pas plus que la population iranienne dans l’ensemble
ne soutiennent l’implication de leur pays dans le conflit syrien.
Qu’en
est-il des milices irakiennes présentes en Syrie ?
Elles
sont apparues peu après l’entrée en scène des membres du
Hezbollah, mais leur nombre n’était pas aussi important à
l’origine qu’il ne l’a été par la suite puisqu’il il
atteint une cinquantaine de milliers d’hommes. Une véritable
armée ! Et l’on peut dire qu’il tient du miracle que
les Syriens continuent à résister voire à vivre, pris en étau
qu’ils sont par les milices irakiennes et libanaises, les Iraniens
et les djihadistes du groupe État Islamique ! Une partie des
milices Irakiennes ont d’ailleurs commencé à quitter la Syrie
pour prêter main forte au premier ministre irakien, Nouri al-Maliki,
qui peine à tenir face à l’offensive de l’État Islamique dans
son pays.
Les
combats sur le terrain :
Que
sont devenus les militaires qui ont fait défection ?
Il
y a des militaires de carrière qui ont continué le combat, mais
l’évolution de la situation sur le terrain a fait que ce sont les
civils qui ont pris le pouvoir et dirigent les combats. C’est un
véritable problème car on voit bien la faiblesse de ces milices
populaires formées sur le tas et qui n'ont pas de formation.
Aujourd’hui on parle de plus en plus de la nécessité d’intégrer
les militaires restés dans les camps de réfugiés en Turquie ou en
Jordanie dans les combats sur le terrain. Mais le problème est que
ces militaires très souvent n’ont pas d’esprit d’initiative et
attendent qu’on vienne les chercher pour les associer à un projet
déjà préparé, c’est sans doute lié à la culture militaire
syrienne fondée sur la seule obéissance. Très peu d’entre eux
sont allés sur le terrain, prenant eux-mêmes l’initiative
d’organiser et de former des groupes de combattants.
Comment
les combats ont-ils évolué en Syrie ?
Aujourd’hui,
il n’y a plus de combats véritables en Syrie. Le régime bombarde
les quartiers ou les affame. Lorsqu’il y a des attaques, elles sont
menées par les hommes du Hezbollah ou les milices irakiennes et
dirigées par des Iraniens. Les soldats du régime ont quitté le
terrain depuis longtemps. Aux check-points, il n’y a plus de
Syriens aujourd’hui mais des Libanais, des Irakiens voire des
Iraniens. Les Syriens ont été écartés de ces lieux en raison du
lourd tribut qu’ils ont déjà payé. Ceux qui se jettent dans les
combats contre le régime avec le plus d’audace sont là aussi les
djihadistes étrangers qui font partie de Jabhat al-Nosra et Daech.
Il y a des Tunisiens – réputés les plus féroces et qui sont près
de deux mille cinq cents, des Saoudiens, des Marocains, des Afghans
des Tchéchènes. Il a aussi des Européens, principalement des
Français et des Anglais. Ils sont très nombreux, mais on n’en
connaît pas le nombre. Avec le pourrissement de la situation et
l’absence de perspective politique, deux fanatismes ont occupés
progressivement le devant de la scène syrienne, se faisant face :
les fanatiques sunnites constitués en très grande partie de
ressortissants de pays arabes et européens et les fanatiques chiites
venus du Liban, d’Irak, et d’Iran. Il est vrai que les fanatiques
sunnites inquiètent les pays occidentaux alors que les fanatiques
chiites ne semblent pas leur poser problème. Sans doute parce que
les premiers sont des électrons libres sur lesquels personne n’a
de prise, alors que les seconds sont contrôlés par un État,
l’Iran.
Quelles
sont les mesures que doit prendre l’opposition syrienne aujourd’hui
face à la dégradation de la situation ?
Le
premier objectif de la coalition aujourd’hui est de faire de la
cause syrienne une priorité dans ce conflit devenu multiple. Les
Syriens ne peuvent faire face seuls au régime, aux Iraniens, aux
hommes du Hezbollah, aux milices irakiennes, aux djihadistes du
groupe État Islamique. Ils sont obligés de coordonner leurs efforts
avec les pays qui les soutiennent. Notre action ne peut s’inscrire
dans le cadre d’une vaste coalition composée de nous-mêmes et de
nos soutiens régionaux et internationaux. Il s’agit pour nous dans
l’opposition de contrer cette dérive qui consiste à voir dans le
conflit syrien, non pas un peuple en guerre contre un régime pour
faire triompher ses droit, mais une guerre contre le djihadisme,
nouvel avatar de la guerre contre le terrorisme, une véritable
obsession occidentale qui confine à l’arrière-plan la cause
syrienne. C’est pour nous autres dans l’opposition syrienne un
combat très difficile à mener qui nécessite à la fois que nous
soyons unis, et c’est le second objectif de la coalition, et que
nous renforcions notre capacité de communication avec le peuple
syrien, sans quoi notre cause sera complètement oubliée par les
acteurs régionaux et internationaux. À l’heure d’aujourd’hui,
nous sommes à l’été 2014, l’opposition syrienne n’est plus
ce qu’elle était au début de la révolution. On ne parle plus par
exemple du CCND qui s’est vidé de nombreux de ses membres, en
grande partie, en raison du profil bas adopté. D’ailleurs la
plupart de ses responsables ont quitté la Syrie. Aujourd’hui, on
ne peut plus réduire l’opposition à la Déclaration de Damas, et
même à la seule coalition (i.e. la CNS) ou aux katâ’ib.
Une nouvelle génération d’opposants syriens est née de cette
révolution, qui ne se reconnaissent pas dans l’organisation
actuelle de l’opposition syrienne et dont il importe de tenir
compte ou bien en créant une structure nouvelle ou bien en les
intégrant dans la Coalition nationale où ils doivent avoir toute
leur place. Il faut que l’opposition politique syrienne reflète
davantage les forces sur le terrain qui organisent la vie quotidienne
dans les zones libérées et qui résistent donc au quotidien. Au fur
et à mesure que l’opposition politique s’est autonomisée par
rapport aux forces réelles sur le terrain, elle est devenue la proie
de toutes les manipulations de la part de différents clans au sein
de l’opposition, qui ne servent pas forcément les intérêts
nationaux. Il faut une véritable refonte politique au sein de
l’opposition, un rajeunissement des cadres, un changement de
discours et surtout le recentrage de ce dernier sur la population
syrienne qui vit au quotidien la tragédie du conflit. Il est vrai
qu’au départ nous avons concentré nos efforts sur la
communication avec les acteurs régionaux et internationaux, non pas
que nous minimisions l’importance de la communication avec
l’intérieur. La raison à cela est que nous n’avions aucun moyen
à l’époque de mettre en place une communication que nous
contrôlions avec l’intérieur, qu’il s’agisse des zones
libérées ou assiégées par le régime. Il nous était difficile
par exemple de contrôler l’acheminement des armes. Les
interférences de groupes locaux, d’acteurs régionaux et
internationaux nous empêchaient d’avoir une emprise sur
l’intérieur. Il reste donc à l’opposition politique d’en
tirer toutes les conséquences pour mettre en place une nouvelle
stratégie qui lui permette de revenir sur le devant de la scène.
1
Les manifestations du vendredi étaient celles
qui regroupaient le plus de monde lorsque la révolution était
encore pacifique ; le vendredi est en effet à la fois jour de
prière collective et jour de congé hebdomadaire. Les manifestants
avaient pris l’habitude de baptiser chaque vendredi par un slogan
politique inspiré par le contexte local, régional ou
international.
2
Coalition de partis politiques syriens créée en 1972, après la
prise du pouvoir par Hafez El Assad. Le Front réunit des partis
soutenant la politique nationaliste arabe et socialiste du
gouvernement baathiste, condition sine qua non pour être autorisés.
3
Coalition regroupant de grandes figures de l’opposition syrienne
ainsi que des partis politiques qui se sont engagés en octobre
2005, dans un document de cinq pages, à s’unir pour dénoncer
l’autoritarisme du régime syrien et appeler pacifiquement à des
réformes graduelles.
4
Le 14 novembre 2011.
5
Les 13/14 janvier 2014.
6
Le 16 février 2014.
7
Groupe État Islamique en Irak et au Levant ou Daech.
8
Vétéran de la diplomatie syrienne qu’il a
dirigée pendant plus de vingt ans sous Hafez et Bachar El Assad,
originaire de Deraa.
9
Mise en place au début de la révolution.
10
Ancien Chef d’État-Major de l’armée syrienne qui a occupé un
temps le poste de Ministre de la Défense.
11
Beau-frère de Bachar El Assad, passé de garde
du corps de Hafez El Assad à directeur du service des
renseignements militaires. Il devient Vice-Ministre de la défense
en septembre 2011.
12
Ancien directeur de la Sécurité d’Etat (Renseignements généraux)
et chef du Bureau de la Sécurité nationale au sein du commandement
régional du Parti Baath.
13
Chrétien grec orthodoxe, général dans l’armée syrienne. Il est
nommé Ministre de la défense en août 2011, servant de caution
chrétienne au régime. Il s’agit d’une fonction plutôt
symbolique, les décisions étant prises par le vice-ministre.
14 Secrétaire
régional adjoint du Parti Baath.
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