vendredi, mars 16, 2007

Où va la Syrie ?

Conférence Euromed-IHEDN le 23/01/2007
Où va la Syrie ?

Transcription de la conférence de Monsieur Burhan Ghalioun donnée dans le cadre des "Entretiens d'Euromed-IHEDN" à Paris, le mercredi 15 novembre
M. Burhan Ghalioun est professeur de sociologie politique à la Sorbonne nouvelle Paris III. Il est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages sur la société et la politique du monde arabe.
Burhan Ghalioun est l'une des figures intellectuelles les plus engagées dans le mouvement de démocratisation de la Syrie et du monde arabe
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Le débat sur le rôle de la Syrie dans les conflits multiples qui enflamment le Moyen Orient, ainsi que la manière dont on pourrait l’inciter à changer de politique, sont au cœur des préoccupations des chancelleries internationales. Dans mon intervention, je vais tenter de relever les éléments qui me semblent indispensables pour comprendre cette politique et les perspectives de son éventuelle mutation, dans le contexte actuel de l’évolution de l’ensemble de la situation du Moyen Orient.
Il est en effet impossible de comprendre les choix et les processus politiques conflictuels qui ont conduit Damas dans la situation où elle se trouve aujourd’hui, sans prendre en considération trois éléments : la nature du régime sociopolitique et de son rapport à son peuple ; la dégradation des relations interarabes avec pour conséquence l’éclatement de l’axe Riad-Le Caire-Damas sur lequel s’est fondée l’entente au Machrek, Liban compris, depuis 1990 ; le bouleversement de la conjoncture internationale dû à la mise en place de la nouvelle politique américaine, unilatérale et résolument interventionniste, de l’Administration Georges W. Bush, après les attentats de 11 septembre 2001, avec pour conséquence la neutralisation de l’Europe. C’est cet ensemble de facteurs, nationaux, régionaux et internationaux qui explique la triple crise dans laquelle se débat le régime syrien, et qui apparaît sans issue, même si les revers américains en Irak viennent réduire pour le moment ses effets négatifs.
La première dimension de cette crise est interne. Elle désigne la rupture évidente entre un régime qui plonge dans l’anarchie, la corruption et l’illégalité, et une société neutralisée, voire terrorisée et abandonnée à son sort. La trahison des espoirs soulevés par la nomination à la tête de l’Etat d’un jeune médecin, manifestant sa volonté de se rapprocher du peuple, de corriger les erreurs passées et de réformer le système maintenu en place grâce à la Loi martiale appliquée sans interruption depuis son instauration en 1963, démoralise toute une nation, la rejetant dans le doute et la désespérance. En effet, rien ne va plus lorsqu’un régime politique rompt avec sa société, ne veut plus communiquer ou dialoguer avec son peuple. On pourra revenir plus tard à cet aspect de la situation, si vous le voulez. C’est très important pour comprendre la réaction du pouvoir aux événements extérieurs ainsi que ses choix de politiques régionales et internationales. Mais je ne pense pas que ce soit le sujet de notre débat pour ce soir.
La deuxième dimension de la crise concerne les rapports du régime syrien avec son environnement régional. Hafez Assad, le père de l’actuel président, a inauguré une politique pragmatique fondée sur l’établissement de bonnes relations avec toutes les puissances régionales et internationales, susceptibles de le servir dans la réalisation de ses objectifs. En essayant d’agir sur la marge de leurs stratégies respectives, il a accumulé toutes les cartes qui lui étaient nécessaires pour élargir sa marge de manœuvre et renforcer l’autonomie de sa décision. Il a ainsi réussi le tour de force de s’assurer le soutien de l’Iran islamiste révolutionnaire et les appuis des régimes arabes conservateurs de Riad et du Caire. Par cette realpolitik, H. Assad a donné à la Syrie, qui a été pendant longtemps un enjeu des luttes d’influences internationales, comme l’avait bien décrit Patrick Seale, ici présent dans un ouvrage devenu référence intitulé « Lutte pour la Syrie », les moyens de devenir un centre d’initiative et un principal acteur régional alors que la Syrie. Il avait un véritable sens de la politique pragmatique qui ne connait ni aveuglement idéologique ni attachement à des amitiés ou alliances éternelles. Le renforcement de ses relations avec l’ex-Union soviétique ne l’a pas empêché de courtiser les Américains et de maintenir de bons rapports avec eux. C’est avec leur soutien, et en accord avec Washington qu’il a pris la décision d’intervenir militairement au Liban en 1976, contre l’avis des Soviétiques.
Hélas, son successeur n’a pas cette habilité qu’avait son père de marcher sur des fils tendus et de jouer sur les contradictions entre les puissances pour maintenir son autonomie de décision. Il a été obligé très vite d’abandonner ce jeu d’équilibrisme pour choisir son camp, ou plutôt pour se trouver accolé, après avoir rompu avec les capitales arabes et occidentales, à s’aligner sur la position de la seule puissance régionale qui accepte de le soutenir, après son trait militaire du Liban, à savoir l’Iran de Ahmadinéjade, substituant à l’axe traditionnel Riad-Le Caire-Damas le nouvel axe Téhéran-Damas-Hizballah, et par conséquent, faisant l’unanimité du camp conservateur arabe et du bloc occidental contre lui. En effet, ses anciens alliés arabes, les Egyptiens, les Saoudiens, les pays du Golfe surtout, sont aujourd’hui très inquiets de la mise en place de cette alliance stratégique entre Damas et Téhéran.
Je viens de participer, il y a trois jours, à un colloque international à Abou Dhabi sur le nucléaire iranien. Il est très significatif de constater que tous les représentants des pays du Golfe sont acquis à la position américaine. Ils pensent qu’ils n’ont pas d’autre solution que de coopérer avec les Américains pour faire face à cet axe dangereux, sans écarter l’hypothèse d’une option militaire, alors que l’ensemble ou la majorité des représentants des autres pays arabes – Egyptiens, Marocains, Algériens, Syriens, etc.… étaient favorables plutôt au dialogue avec les Iraniens. Cet alignement de Damas sur la position iranienne, fait en réalité très peur aux régimes arabes qui craignent la montée en puissance de l’Iran et ses conséquences sur la stabilité des systèmes politiques en place comme de la région. Il explique l’isolement croissant dans lequel se trouve la Syrie aujourd’hui dans son environnement arabe qui l’a tant protégé contre l’agressivité israélienne et les pressions américaines. Loin de l’aider à sortir de son isolement, l’alliance avec Téhéran l’enfonce plus dans l’irrédentisme et favorise la création d’une coalition arabo-occidentale contre elle.
La troisième dimension de la crise que connaît aujourd’hui le régime syrien, et le pays lui-même, concerne ses relations internationales et particulièrement avec l’Europe et les Etats-Unis. Et je pense que c’est le sujet qui doit constituer l’axe de notre réflexion ce soir.
Il n’y a pas de doute que les bouleversements qui ont suivi la chute de l’ex-union soviétique et la guerre froide, puis les attentats tragiques de 11 septembre 2001, ont joué un grand rôle dans la dégradation des relations syro-occidentales, en particulier syro-américaines. Mais le processus d’adaptation à la nouvelle donne a été déclenché, avec succès, par H. el Assad, depuis le milieu des années 1990. C’est ainsi que, malgré l’opposition de la majorité de l’opinion publique, voire de son propre équipe gouvernementale, H. el Assad n’a pas hésité à envoyer en 1991 ses troupes se battre à côté des troupes américaines, au sein de la coalition internationale pour chasser les troupes irakiennes du Koweït. Réalisant le changement de la donne stratégique, il entre dans des négociations de paix avec les Israéliens dans le cadre de la Conférence de Madrid, abandonnant d’emblée sa doctrine de la parité stratégique avec Israël, qui est censée lui permettre de récupérer le Golan par la force. Par ce même souci d’adaptation à la nouvelle situation, Assad a cherché également à signer un accord de partenariat avec l’Europe, après un long refus, dans l’espoir de faire de la France et de l’Union Européenne, un allié stratégique dans la lutte contre l’hégémonisme américaine. Ainsi, s’est-il déplacé, malgré sa maladie, à Paris pour sceller les liens d’amitié et d’alliance. L’année suivante, Bachar el Assad, a été invité en visite officielle en France. La manière dont il a été reçu par les responsables français, le président de la république en particulier, a montré sans ambigüité que la France a été pour la succession de Bachar el Assad à son père. Bachar a encore été deux fois invité par l’Elysée, depuis son accession au pouvoir, et la France n’a ménagé aucun effort pour montrer son soutien au nouveau régime. Comptant sur ses relations avec le nouveau président pour maintenir ses positions au Moyen Orient, menacées par l’offensive américaine dans le Golfe, Paris prend en charge les dossiers les plus urgents de réforme et les équipes françaises travaillent sur les dossiers de la modernisation de l’Etat : administration, justice, finances etc.
Contrairement à certaines analyses, Bachar a commencé son mandat dans un environnement international très favorable. Il avait le soutien manifeste des grandes capitales européennes, Paris en tête, mais également des Etats-Unis d’Amérique. Madame Albright qui est venue représenter le président américain aux funérailles du père, n’a pas caché la préférence de Washington pour la candidature de Bachar. Toutes ces parties ont pensé qu’il représenterait la meilleure solution pour une transition pacifique et progressive épargnant la Syrie les risques de la déstabilisation.
Que s’est-il passé, pour qu’il y ait une rupture entre la Syrie et le bloc euro-américain, après de nombreuses décennies de coopération et de concertation ? Comment Paris et Washington sont arrivés à voir dans le régime de Bachar Assad un ennemi à abattre après avoir été acclamé comme mofèle des nouveaux leaders arabes réformateurs et modernisateurs ? Quels sont les erreurs que les antagonistes ont commises pour conduire les relations syro-occidentales à une rupture qui reste, malgré le début de dialogue, loin d’être surmontée. Je ne pense pas que la crise des relations syro-occidentales actuelle était nécessaire ou inéluctable. Au contraire, elle est le résultat d’une accumulation d’erreurs qu’on aurait pu très bien corriger, s’il y avait, de part et d’autre, une volonté de dialogue et de compréhension.
A l’incapacité du nouveau régime syrien de répondre à la nouvelle situation né de la fin de la guerre froide, et plus particulièrement des événements du 11 septembre 2001, vient s’ajouter la puissance de la nouvelle stratégie américaine volontariste et agressive dite de remodelage du Moyen Orient, pour créer un environnement régional intenable, miné par la peur et la méfiance. L’occupation de l’Irak est intervenue en 2003 pour fermer la porte devant tout dialogue entre Washington et ses interlocuteurs, y compris ses propres partenaires européens. Perdant tout espoir de s’entendre avec les Américains, malgré un début de coopération sécuritaire, les dirigeants syriens, au lieu de composer comme l’ont fait les autres capitales arabes, en misant sur l’enlisement de la campagne irakienne, choisissent de manifester plus fermement leur opposition à l’offensive américaine. C’est ainsi que la situation allait d’une dégradation en dégradation jusqu’au jour, où Damas, cherchant à protéger ses positions libanaise après le vote par le Conseil de sécurité de la résolution 1559, commettent l’erreur de défier Paris en décidant de renouveler le mandat présidentiel d’Emile Lahoud, contre la volonté de son meilleur allié européen, voire en trahison, semble-t--il, des promesses fermes qui ont été données par le chef de l’Etat syrien au Président français. Ce renouvellement a été, avec les événements tragiques qui vont le suivre de l’assassinat de Rafiq Hariri jusqu’au retrait précipité de la armée syrienne du Liban, le point de départ d’une crise majeure qui n’est pas encore apaisée, dans les relations syro-occidentales.
Ainsi, contrairement à son père, le nouveau président a eu manifestement beaucoup de difficultés à faire face, avec sérénité et flegme, à la première grande crise qu’il venait d’affronter avec la chute du régime frère de Saddam Hussein et la concrétisation des menaces américaines. Bachar s’est montré très rigide et très peu manœuvrier. Craignant à juste titre les projets de déstabilisation américains, il a choisi de passer à l’offensive, abandonnant ainsi très vite le terrain du dialogue politique pour l’action hostile.
Cependant, l’on ne peut comprendre les erreurs du régime syrien en les séparant de la politique que Washington a cherché à imposer aux dirigeants de la région après les attentats du 11 septembre. L’Administration a tenté pratiquement d’enroler tous les Etats de la région dans sa stratégie de « la guerre mondiale contre le terrorisme ». Depuis le 11 septembre l’Administration américaine a décidé de dicter sa politique et d’appeler tous les gouvernements à agir dans le sens souhaité. Tous les dirigeants exprimaient leur inquiétude face à une guerre américaine annoncée, portant les risques d’une déstabilisation qui ne se limitera pas à l’Irak seul. Forts de l’appui de plusieurs pays, sans parler de l’opinion publique arabe, le régime syrien qui avait du mal à freiner la montée en puissance de l’opposition politique, a cru pouvoir exploiter la situation régionale pour revigorer son idéologie de légitimation nationaliste et déplacer le conflit politique sur le terrain de la lutte nationale contre l’ennemi extérieur. Les responsables syriens, à commencer par le président, n’ont pas hésité de dénoncer la campagne militaire américaine contre l’Irak, la décrivant comme une invasion coloniale. Ils n’ont pas caché leur soutien à la résistance irakienne contre les Etats-Unis, dont ils recevaient les chefs à Damas, devant les cameras des télévisions. Il n’y a pas de doute aussi qu’ils ont encouragé les éléments islamistes à traverser les frontières pour aller renforcer les rangs des Djihadistes en Irak.
Mais l’activisme syrien en Irak occupé n’est pas le seul élément de discorde entre les deux parties. Les liens que les Syriens ont veillé à renforcer avec des organisations considérées par Washington comme terroristes comme le Hamas en Palestine, le Hezbollah au Liban, et d’autres organisations de moindres impotence ailleurs, sont aussi une cause majeure de conflit. Les responsables américains n’ont cessé depuis le début de la crise en 2003 d’appeler Damas à mettre fin à ses relations avec les « organisations terroristes », alors que pour le régime syrien, il s’agit là d’instruments d’une valeur inestimable pour sa politique extérieure, et notamment face à Israël qui annexe des territoires syriens et refuse depuis l’année 2000 de revenir à la table des négociations.
Plus encore, l’abandon par les dirigeants syriens de leurs cartes de politique extérieure n’aurait pas pour résultat seulement l’affaiblissement de leur position régionale, en particulier face à un Israël super armé, il signifierai également de les désarmer face à leur propre opinion publique qui, comme dans les pays ex-communistes, a subi depuis des décennies des conditions de vie matérielles et politiques drastiques, au nom de la lutte anti impérialiste et anti israélienne.
Il en va de même concernant la présence de l’armée syrienne au Liban. Les succès extérieurs ont toujours été exploités par le régime de Damas dans le but de masquer ses échecs intérieurs, aux niveaux social, économique, politique. Ainsi, le Liban sous tutelle syrienne n’était pas simplement un théâtre secondaire de conflits à travers duquel les Syriens pouvaient rappeler la cause de la libération de leurs territoires occupés et maintenir la pression sur Tel Aviv. Il était aussi un argument politique de première importance, car il prouvait aux Syriens, d’une façon permanente, la force inégalable du régime et sa pérennité politique. C’est grâce à cette démonstration de puissance qu’il dissuadait l’opposition de tout mouvement de contestation. Il ne faudrait pas non plus négliger les retombées économiques et les avantages de toutes les natures que la clientèle militaire, sécuritaire et politique en tirait.
Autour de ces trois dossiers, l’Irak, le Liban et les organisations armées, il ne pouvait pas y avoir un compromis. Les Syriens, comme d’ailleurs beaucoup de régimes arabes, n’avaient aucun intérêt de voir le Américains gagner et s’installer durablement en Irak. Ils n’avaient pas intérêt à affaiblir les organisations islamistes en Palestine et au Liban au profit d’un Israël arrogant, expansionniste et agressif. L’affrontement entre Damas et Washington était donc prévisible du moment où les Syriens ne voulaient pas faire de concessions sur ce qu’ils appelaient leurs « cartes régionales », alors que les Américains qui ont commencé très tôt à prendre conscience des risques pris en Irak, y voyaient une entrave à la réalisation du Grand Moyen Orient, totalement acquis à eux et nettoyé de toute autre influence non américaine.
Mais, l’Europe n’a pas été absente de cette crise des relations syro-occidentales. Après avoir encouragé le nouveau régime de Bachar el Assad à tenir bon face aux Américains, elle fait marche arrière et s’aligne dès 2004 sur les positions américaines. Pour geler la signature de l’accord de partenariat euro-méditerranéen, elle demande de renégocier le texte pour imposer de nouvelles exigences concernant la question de la possession des armes de destruction massive. Sans doute, sensible aux demandes américaines, Bruxelles a voulu apporter sa contribution à la pression exercée par Washington sur Damas pour l’amener à composer. Mais, il ne faut pas négliger le poids de la déception des chancelleries occidentales et du Président Chirac en particulier, de voir les dirigeants syriens manquer à leurs engagements. Il est vrai, d’autre côté, que l’unilatéralisme des Américains a renforcé plus encore aux yeux des Arabes l’image d’une Europe impuissante, et par conséquent c’est aux Américains et non à elle qu’il faut faire des concessions.
En réalité, la stratégie dite de remodelage du Grand Moyen Orient, adoptée par l’Administration Bush, dont l’occupation de l’Irak a été la meilleurs illustration allait fatalement à l’opposé du processus de Barcelone défendu par les Européens dans le but d’aboutir à une solution politique au conflit arabo-israélien. Fondée sur l’arrêt des négociations de paix, la poursuite du renforcement de la suprématie militaire israélienne et le changement des régimes, cette stratégie suivait un agenda contraire à l’agenda européen misant sur la poursuite des négociations, la stabilisation de la région et la coopération avec les régimes en place. Elle ne pouvait ainsi que neutraliser l’influence traditionnelle de l’Europe en court-circuitant son action dans la région. Ainsi, toute la démarche de Barcelone, amorcée au milieu des années 90 pour maintenir le dialogue avec les Palestiniens, développer des liens de coopération économique et politique avec les régimes de la région, pousser ces derniers à adopter des positions un peu plus respectueuses des droits de l’homme, a été torpillée par la stratégie de puissance et par l’offensive américaine en Irak. Israël y a aussi contribué largement en suspendant l’application de la « Feuille de route » et en adoptant une politique agressive et interventionniste. En fermant la porte des négociations de paix pour lui substituer le changement des données géopolitiques par la force, l’axe américano-israélien a mis la région au bord de l’explosion. Les conflits sont aujourd’hui généralisés : en Palestine, en Irak, au Liban, et risquent de s’étendre sur d’autres pays.
Aujourd’hui, Aucune partie ne semble en mesure d’atteindre ses objectifs, ni L’Europe neutralisée, ni les Etats-Unis, enlisés en Irak, ni Israël qui a essuyé une de ses premières défaites militaires en juillet-aoûte 2006 au Sud Liban, ni la Syrie qui se trouve isolée et sous protection iranienne, ni l’Iran qui risque de se trouver la cible d’une nouvelle attaque israélo-américaine visant son projet d’enrichissement d’uranium. C’est donc l’impasse.
Face à cette situation de blocage, où aucune des parties en conflit n’est en mesure remporter un succès décisif, quelles pourraient être les issues?
Trois scenarios sont possibles.
La première est la poursuite de la guerre, avec comme option le renforcement des troupes américaines et irakiennes d’une part et la préparation d’une intervention militaire nouvelle en Iran pour la dissuader de continuer son programme nucléaire et briser sa volonté de devenir la première puissance régionale.
La deuxième solution à laquelle appellent tous les adversaires de la guerre est le dialogue avec l’axe Téhéran-Damas-Hizbullah. Mais, on ne sait pas encore avec qui, Damas ou Téhéran, pour quel but, et qu’est-ce qu’on peut proposer en contrepartie d’une coopération syrienne ou iranienne demandée. Certains préfèrent ouvrir le dialogue avec le régime de Damas qui, grâce à son caractère laïc, le désir de récupérer le Golan et l’encrage arabe, pourrait avoir plus intérêt à abandonner la ligne radicale de l’Iran islamiste, poursuivant son projet de puissance. D’autres préfèrent s’adresser directement à Téhéran pour l’inciter à abandonner son projet nucléaire contre la reconnaissance de sa place et son rôle prépondérant dans la région. Dans le premier cas, il s’agit d’isoler Téhéran avant de l’attaquer, dans le deuxième de réduire la marge de manœuvre de la Syrie afin de préserver la stabilité au Liban et en Irak.
Cependant, je crois que, ni les Syriens, ni les Iraniens, ne sont aujourd’hui très intéressés par ce dialogue, car ils ne sont pas prêts à abandonner leurs objectifs, quelqu’en soit le prix. Téhéran ne négociera pas son droit à maîtriser la technologie ou à posséder l’arme nucléaire, tandis que le pouvoir de Damas n’a aucune chance de se défendre et de perdurer en se coupant de son allié perse, qui constitue aujourd’hui pour lui la seule protection contre un environnement national, régional et international hostile. Les deux capitales sont disposées à dialoguer, non pour faire des concessions mais pour récolter les fruits de leur résistance et les reccueillir les retombées de l’échec américain.
La troisième solution, certains cercles de responsables Américains le disent aussi, consiste à retirer les troupes de la coalition le plus tôt possible et laisser les Irakiens régler leurs différends entre eux. Une telle sortie de la crise n’est pas à mon avis envisageable car elle jettera l’Irak dans une guerre civile généralisée avec pour résultat une domination plus renforcée de Téhéran sur les destinées irakiennes.
A mon avis, aucune des solutions discutées aujourd’hui n’est viable. Le renforcement de l’action militaire est inutile en dehors d’une initiative politique susceptible de rassembler les différentes factions politiques irakiennes. Le dialogue avec Damas et Téhéran n’apportera aucune solution car rien ne peut compenser à leurs yeux l’abandon de cette carte maîtresse par laquelle Iraniens et Syriens pensent avoir suffisamment d’instruments de menace pour dissuader Washington de toute action de déstabilisation les concernant. L’appel occidental au dialogue en est la meilleure illustration. Alors que le retrait des troupes américaines d’Irak avant l’aboutissement à une solution politique causera un tort irréparable à la crédibilité de Washington et effacera durablement l’influence de l’ensemble de l’Occident dans la région, au profit des Iraniens et des groupes extrémistes djihadistes.
Pour moi, l’échec de l’invasion de l’Irak vient illustrer la faillite de l’ensemble de la politique moyen orientale du bloc occidental, dont il est d’ailleurs le dernier maillon. Il ne sera possible de le surmonter que par une révision déchirante de cette politique fondée sur le dénigrement des droits nationaux, économiques, politiques et humains des peuples de la région pour les seuls buts de garantir la sécurité d’Israël et la préservation des intérêts stratégiques et énergétiques des pays industrialisés. Loin de sauver cette politique, l’occupation de l’Irak l’a fait voler en éclats. Tout le système néocolonial mis en place au Moyen-Orient depuis les indépendances est effondré; c’est-à-dire un ensemble de dispositifs politique, économique, et militaire, social, visant à maintenir la région sous le contrôle direct, et dans le seul but de servir les intérêts économiques et stratégiques, de l’Occident. C’est pourquoi, il n’y a pas de solution irakienne à la crise irakienne. Seule la solution de l’ensemble des crises qui ont conduit à l’occupation de l’Irak sera à même de sortir l’Irak de sa crise, en même temps que la Palestine, le Liban, la Syrie, l’Egypte, l’Arabie Saoudite et tous les autres pays qui vivent depuis des décennies dans des conditions d’exception.
Ce système néocolonial du Moyen Orient a été fondé sur trois principes. Le premier est le principe du maintien de la région sous contrôle militaire et politique permanent et de ne pas hésiter à employer la force, en violation du droit international s’il le faut, pour préserver des avantages acquis ou atteindre des objectifs économiques, politiques ou stratégiques, dits vitaux. La dernière guerre d’Irak en a été la meilleure illustration. Elle vient compléter une série d’interventions militaires, depuis la guerre du Suez, en passant par les multiples guerres israéliennes, Les thèmes de la sécurité, la mise en place des pacte militaires régionaux depuis la fin de la 2° guerre mondiale, le maintien des base militaires dans plusieurs pays de la région, la banalisation des raids et des campagnes de représailles et de persuasion, l’interdiction aux pays de la région d’accéder à ou de posséder la technologie avancée, font un ensemble de dispositions qui découle de ce principe. Or, après le fiasco américaine en Irak, personne ne croit plus aujourd’hui, y compris dans les pays occidentaux, à la fiabilité des interventions militaires pour assurer le contrôle de l’évolution de la région.
Le deuxième principe sur lequel s’est fondé le système néocolonial est la suprématie militaire israélienne. Là aussi, je crois que l’échec israélien au Sud Liban face aux miliciens de Huzbullah a réduit considérablement la fiabilité stratégique israélienne. La suprématie militaire ne produit plus l’effet persuasif recherché. Les Syriens, les Libanais, les Palestiniens, comme tous les autres arabes, pensent aujourd’hui qu’avec une meilleure stratégie et une bonne organisation, ils peuvent gagner, que l’armée israélienne n’est pas invincible.
Le troisième principe est le soutien inconditionnel aux régimes despotiques. C’est d’ailleurs le président Bush lui-même qui a déclaré que « nous avons soutenu pendant soixante ans des régimes despotiques et corrompus. A partir de maintenant, nous allons soutenir la démocratie », lorsqu’il avait besoin de justifier la dernière guerre d’Irak, face à ces détracteurs américains, et d’attirer vers sa politique l’opinion publique arabe en colère. Cela n’a pas duré longtemps, et on ne cache plus, aux Etats-Unis comme en Europe, qu’il faut revenir au bon vieux principe de soutien inconditionnel aux régimes, c'est-à-dire, favoriser la stabilité au lieu de la démocratie et réhabiliter les régimes qu’on a voulu changer, il y a seulement deux ans. Mais c’est désormais une mission impossible. La corruption et le chaos sont tels que le maintien des ses régimes inféodés aboutira tôt ou tard aux explosions et à la dislocation des sociétés, créant ainsi un terrain de prédilection pour le développement des mouvements extrémistes.
Ainsi, je pense qu’il n’y a pas de solution avec le maintien de ce système et des politiques traditionnelles fondées sur la préservation des intérêts occidentaux, en faisant fi des intérêts des peuples de la région. Dans l’état actuel, il ne peut y avoir aucun résultat : ni paix, ni sécurité, ni stabilité, ni développement ni démocratisation. Il n’y a que la violence qui peut prospérer. En Palestine, en Irak, au Liban et ailleurs, la tendance est inexorablement aux affrontements généralisés : sociaux, confessionnels, factionnels. Mais à l’échelle régionale, il y a à craindre que l’Administration Bush n’encourage la création d’un axe Riad-Le Caire-Amman, pour faire face à l’axe Téhéran, Hezbollah, Damas, préparant ainsi le terrain pour une guerre confessionnelle à l’échelle régionale, opposant Chiites et Sunnites, dans le but d’alléger la pression sur les troupes américaines et se préserver une marge de manœuvre nécessaire pour le contrôle des différentes factions.
La sortie de l’impasse, en Irak, en Palestine, au Liban et dans l’ensemble du Proche Orient dépend de la capacité de l’Europe et des Etats-Unis, les vrais maîtres de la région, à se débarrasser du système néocolonial, fondé sur la neutralisation des peuples, l’alliance avec des régimes prédateurs et la suprématie militaire israélienne, pour défendre des positions ou plutôt un mode de domination qui n’a plus de raison d’être, au profit d’un nouveau système de coopération basé sur les principes de respect, de droit, de partage d’intérêt et de solidarité et d’équilibre.
C’est pourquoi, il faut une approche globale qui tient compte en même temps de tous les problèmes : résolutions des conflits régionaux, démocratisation et développement ; Car, c’est de l’enchevêtrement de ces aspects et leurs interactions que se perpétue la crise. Le seul cadre susceptible de répondre à cette exigence de globalité dans l’approche est une conférence internationale sur le Moyen-Orient, à laquelle devraient être invités, à la fois les gouvernements concernés, les Etats-Unis, l’Europe, et d’autres puissances, cote à cote avec les représentants de la société civile, des organisations indépendantes, des syndicats, des partis politiques, des intellectuels, des experts des Nations Unies. On y posera tous les problèmes, de l’occupation, des droits nationaux, des droits humains, du développement, de la transition démocratique, avec pour objectif de mettre chacun devant ses responsabilités et d’élaborer ensemble une véritable feuille de route pour sortir tout le Moyen Orient de l’impasse dans laquelle il se trouve aujourd’hui.
Sans une révision forte et courageuse de la part du bloc occidental dans cette direction, le Moyen Orient ira à la dérive. En effet, les gouvernements de la région ont perdu confiance en eux-mêmes et ne pensent qu’à préserver le pacte qui leur permet de renouveler leur mandat et de gouverner, avec le soutien de leurs protecteurs, par des lois d’exception et en dehors de toute concertation. On n’est malheureusement pas sûr que de telles initiatives voient le jour. Je pense que la tendance dans les capitales occidentales est plus à pactiser de nouveau avec les régimes actuels. Les Américains n’iraient peut-être pas jusqu’à déclencher une guerre contre Téhéran. Cela coûtera très cher, mais je n’exclus pas que les Israéliens puissent le faire. le résultat sera cependant le même, c’est-à-dire ouvrir de nouveaux champs de bataille, nourrir plus de conflits et de désespoirs.
Article publié le 23/01/2007 Dernière mise à jour le 23/01/2007

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