mardi 4 mars 2008 - Burhan Ghalioun - Confluences Méditerranée
Tous les gouvernements arabes ont été surpris par le changement survenu, après les évènements du 11 septembre 2001, dans la stratégie des Etats-Unis d’Amérique au Moyen-Orient.
La plupart d’entre eux ont considéré l’insistance de Washington à promouvoir des réformes politiques et sociales visant à garantir une stabilité durable, comme une lourde erreur, non seulement du point de vue de leurs intérêts mais aussi du point de vue des intérêts des Etats-Unis eux-mêmes.
Un tel processus ébranlerait la stabilité et mettrait peut-être fin aux régimes eux-mêmes. Aussi les gouvernements arabes n’ont-ils pas hésité, en dépit du risque que cela comportait pour leur avenir, à manifester leur désaccord avec Washington et à s’employer à convaincre les Etats-Unis de revenir sur leur décision.
C’est qu’il ne s’agit pas là d’intérêts partiels relatifs à l’état en tant que tel ou la société, mais du destin des gouvernements et des régimes dans leur totalité. En moins de deux ans, les gouvernements arabes ont réussi, sans réaliser le moindre changement, à convaincre Washington que les ambitieux projets de réformes ne sont de l’intérêt de personne, ni des gouvernements du Moyen-Orient, ni des Etats-Unis. Et avec l’apaisement sécuritaire survenu en Irak et le lancement de nouveaux pourparlers de paix à Annapolis, les choses ont repris leur cours, ou presque.
Ainsi peut-on dire qu’à la faveur d’intérêts convergents, les gouvernements arabes ont compris l’Amérique mieux qu’elle ne l’a fait elle-même ; ils l’ont aidée à revenir sur la bonne voie pour conserver ses intérêts, étant donné que ces intérêts sont impliqués de fait avec les intérêts des forces arabes sur lesquelles est fondé l’ordre actuel ou le système traditionnel, qui a succédé au mouvement nationaliste arabe. La base de ce système et l’alliance américano-arabe qui le sous-tend, c’est l’intérêt commun à écarter les peuples arabes de la maîtrise de leur destin et les priver de leur souveraineté.
Dans cette lutte, comme dans les nombreuses autres luttes liées à la réforme et au changement, les gouvernements arabes, sous toutes leurs formes, ont utilisé -et utilisent - l’hostilité envers l’Occident pour détourner l’attention de l’opinion publique arabe des problèmes et des défis intérieurs et diriger sa rancœur vers l’extérieur. Dans ce contexte, ils ont œuvré -et oeuvrent toujours- pour répandre une forme d’hostilité qui , au-delà d’un refus des politiques occidentales , va jusqu’au refus de la civilisation, de la culture et de tout ce qui concerne l’histoire et l’identité des pays occidentaux.
Ils ont tiré profit -et tirent profit - de certains courants racistes occidentaux pour faire de la haine de l’Occident en tant que tel, un moyen pour ériger une barrière infranchissable entre l’opinion publique et les acquis de la modernité politique, législative et civique, mobiliser l’opinion derrière eux et se présenter, eux et leurs régimes, comme la citadelle qui protège de la domination étrangère, -culturelle et politique.
Ainsi les régimes arabes ont réussi à lier les politiques occidentales et américaines avec la culture, la civilisation et l’ identité de l’Occident, au lieu de les imputer aux élites dominantes, telles les néo-conservateurs à Washington ; ils ont transformé l’hostilité aux politiques occidentales en hostilité à l’Occident et à faire de la mobilisation permanente contre lui un substitut pour justifier nombre de leurs propres choix stratégiques et politiques, ce qui empêche la cristallisation de toute politique arabe positive, utile et efficace, visant l’opinion publique occidentale et œuvrant auprès d’elle pour défendre les intérêts et les droits des Arabes..
Certes, de nombreuses raisons poussent les peuples arabes à éprouver de l’hostilité envers l’Occident, sans faire la distinction entre les politiques d’un état et la culture de la société, et à ignorer les divisions de son opinion publique. Parmi ces raisons, le manque de considération pour les droits des Arabes, la mauvaise image qui en est donnée, la présentation négative de leur culture dans la presse écrite et les moyens audiovisuels ; de plus, à la suite du développement des mouvements terroristes liés au monde arabe, surtout après les évènements de septembre 2001, sont apparus des manifestations de mépris et de dénigrement envers les Arabes, regardés comme des sociétés non civilisées, et des sentiments nouveaux fondés sur la peur, la haine et la méfiance, et même le désir de vengeance, comme l’a montré la dernière guerre d’Irak avec son cortège de tortures et de traitements cruels et inhumains envers les prisonniers irakiens et les civils.
Malgré cela, il n’est pas de l’intérêt des Arabes de confondre les politiques occidentales et les sociétés qui leur sont assujetties, et de considérer ces politiques comme le reflet naturel de leur culture, voire de leurs intérêts nationaux lointains. De même, c’est une erreur de regarder l’Occident, avec tout ce qu’il comporte ou crée, comme s’il était le mal ou la source du mal ; c’est aussi une grande erreur de confondre pouvoir et société dans quelque pays que ce soit. Cela ne sert qu’à cacher notre échec à cristalliser des politiques capables d’influer sur les politiques des grandes puissances.
Cela crée un ogre mythique qu’on ne peut affronter, devant lequel nous n’avons pas le choix : l’insulter et le maudire en pensée et, dans les faits, traiter avec lui et nous y soumettre, comme c’est le cas. En réalité, l’Occident, avec l’Amérique, n’est ni un ogre ni un bloc impénétrable. Il est parcouru de courants nombreux qui ne sont pas nécessairement animés d’une hostilité foncière envers les Arabes ou les peuples pauvres. Et il n’est pas de notre intérêt d’ignorer ces forces ; nous ne pouvons pas, vis-à-vis de l’Occident, espérer construire une politique qui garantisse notre indépendance et nos droits, contre les politiques agressives de ses gouvernements, sans reconnaître ces courants et entretenir une relation positive avec eux.
Peut-être ces forces démocratiques qui aspirent à un monde où règnent la paix et la justice, sont-elles bien plus grandes en Occident que dans les pays arabes eux-mêmes. Et peut-être leur capacité à offrir leur concours au causes arabes est-elle bien supérieure à ce que peuvent offrir les forces arabes elles-mêmes.
Pour faire face à l’Occident et ses politiques agressives, nous avons constamment fait appel à un recours venu de l’extérieur, représenté dans un premier temps par l’Union Soviétique. Nous rêvons d’une alliance semblable avec la Chine et la Russie émergentes. Mais nous n’avons pas recueilli un gain notable de cette politique, car les causes qui sont les nôtres restent toutes en souffrance, et cela depuis des décennies, elles se sont même aggravées. La raison en est que la plupart de nos problèmes sont liés à l’Occident, et il n’est pas possible de les résoudre en l’ignorant, que ce soit contre lui ou sans lui.
De même, toutes les forces sur lesquelles nous avons misé et sur lesquelles nous miserons ont besoin de la coopération et de l’amitié de l’Occident pour garantir des intérêts qui nous dépassent et devant lesquels nous ne pesons guère. En réalité, il n’est possible de résister à l’Occident colonialiste et impérialiste, dont nous sommes les premières victimes, qu’avec un Occident démocratique et pacifiste, oeuvrant pour la justice dans le monde, c’est-à-dire de l’intérieur même de l’Occident.
Les peuples qui ont une situation proche de la nôtre et nous-mêmes avons la responsabilité de pousser l’Occident vers une politique positive. Non pas en oeuvrant à construire une large entente entre les états qui souffrent des politiques occidentales seulement, mais surtout en consolidant l’entente et la coopération avec les forces démocratiques occidentales et en les aidant à combattre les visées impériales et impérialistes.
Mais pour y parvenir, il nous faut nous prouver à nous-mêmes que nous sommes attachés aux valeurs de justice, d’égalité, de liberté individuelle et que nous représentons des peuples capables eux aussi de traiter avec le monde sur la base du respect mutuel, de l’indépendance, de la légitimité et de la loi. Nous ne pouvons pas changer la politique de l’Occident et lui imposer le respect de la démocratie mondiale sans nous transformer, sans que nos pays ne deviennent des pays démocratiques respectueux des droits et des gens à la fois, jouissant par conséquent du respect.
Quand je dis nous, je ne veux pas dire les pays arabes seuls mais tous les pays qui subissent aujourd’hui les politiques impérialistes et agressives de l’Occident, avec à leur tête les Etats-Unis d’ Amérique.
13 février 2008 - Confluences Méditerranée - Vous pouvez consulter cet article à : http://www.confluences-mediterranee.com/
1 commentaire:
JE SUIS TRES INTERESSE DE VOS IDEES CLAIRES ET QUI FONT PENSER , D APRES MOI C EST L HERITAGE LOURD QUI NOUS PRIVE DE BOUGER , HERITAGE QUI SE FAIT PAR NOUS MEME ET D AUTRE EMPRUNTE ET SEME , SE LIBERER A BESOIN D UNE REVISION NOUVELLE BASEE SUR LE NON SACRE , NON DEJA ETABLIS, TOUT EST DISCUTABLES ET PAS DE TABOUX.QUAND ON ARRIVE LA C EST A DIRE ON COMMENCE LE DEBUT DU CHEMAIN.. MUAYAD SHARIF . JOURNALISTE SOUDANAIS. sharifmuayad@gmail.com
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